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J'ai vu l'autobus hanté par une nuit de brouillard et d'humidité.
Les ténèbres m'entouraient et le froid m'engourdissait peu à peu, lentement. Derrière moi, soudainement, j'entendis ce bruit de moteur, particulier aux autobus de transport en commun de la région que je traversais actuellement.
Je me retournai avec l'espoir que cet autobus serait encore en service et j'espérais qu'il ne rentrait pas à la gare ou au garage comme il aurait dû le faire en raison de cette heure plus que tardive qu'il était déjà.
Et je le vis, fonçant au milieu de la rue, à pleine vitesse. J'aperçus son chauffeur, il avait presque entièrement les yeux --- sortis --- de leurs orbites et ils me, ces yeux, figèrent sur place, dans une terreur à peine indescriptible. Les vêtements que portait ce pauvre fantôme cachaient mal son absence de corps squelletique rongé par les vers.
Le véhicule lui-même, couvert de toile d'araignées arrachées par le vent et de moisissures séculaires fétides vous faisait tressaillir par une odeur de vomi qui émanait de sa carcasse rouillée indigeste. Depuis combien de temps errait-il ainsi parmi les rues, tel un vaisseau fantôme hantant les mers?
Lorsqu'il passa près de moi, je pus voir à l'intérieur les passagers prisonniers de cet enfer ambulant. Leurs visages, pour la plupart sanguinolents, exprimaient dans quelle tourmente ils avaient dû périr. Ce fut un reflet de ce que je nommerais l'angoisse frémissante et presque palpable que peut nous offrir le malin lorsque notre heure est venue de se présenter à lui.
Je ne sais combien de temps je demeurai sur place, figé, et encore moins à quel moment j'ai dû me mettre à courir, l'esprit vide, pris d'une terreur indiscutable et innommable. J'ai dû courir un long temps car, quand j'ai repris mes esprits, j'avais mal aux pieds.
Je me suis donc assis sur un banc près duquel je m'étais arrêté pour me masser les pieds.
J'en étais à me dire que j'étais un des privilégié du destin à avoir été le spectateur d'une scène aussi horrible lorsque soudain, sans raison apparente, le hasard sans doute, le corbillard désossé repassa devant moi, dans cette rue tranquille, perpétuant sa course de mort infinie.
C'est une variante de Queneau car le jeune homme et celui avec qui il se dispute sont transformés en damnés et souffrent mille tourments, c'est bien fait pour eux. Le banc sur lequel se repose le narrateur remplace l'endroit où ils se sont revus. Les pieds aussi sont mentionnés. Nous avons surtout amplifié l'intensité affective. On distortionne l'événement jusqu'à le rendre dégoutant. Si le lecteur a ce petit dérangement de l'estomac lorsqu'il lit, le rejet de la variante est réussi et par extension la volonté de l'auteur. J'admets que ce pourrait être bien pire mais ne veux tout de même rendre personne malade.
La finale, qui n'a l'air de rien, évoque le mythe de l'Éternel retour.
J.-P. S.-A.
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