Bonjour Dame Licorne et vous, noble assemblée,
le Fou ne serait Fou s'il restait sans parler,
quand si belle étrangère au château vient rester!
Vous savez tous beaux sires et aussi nobles dames
qu'au dire des légendes, licorne devient femme
quand elle rencontre l'homme à qui elle veut donner
son amour et sa flamme et sa postérité.
Les jeunes du château sauront vous entourer,
Dame Licorne Noire, espérant, pauvres fous,
attirer vos regards, éclore amour en vous.
C'est qu'ils ne savent pas le sort cruel enfin
qui attend tout humain pour qui devenez femme:
quand les enfants sont nés de la tant belle dame,
abandonne l'époux et redevient licorne,
brisant foyer si doux et reprenant sa corne.
C'est le triste récit qu'on dit à l'attablée:
qui aime la licorne et est aimé de vous
se retrouvera seul, abandonné par vous.
Mais ce sont là légendes et le Fou du château
peut conter vrai récit qu'atteste son chapeau:
voyez Dame Licorne, et vous belle princesse,
ce chapeau est troué. S'il est quelque sagesse
à tirer du récit, c'est que mieux qu'une épée,
la corne de licorne est vraiment effilée!
Après avoir quitté le château de Comper,
le Fou erra partout, alla même à Kemper.
De là prit le bateau pour la verte Eirin,
pour y rencontrer bardes et même Cu Chulain.
Un soir dans la forêt non loin de l'Errigal
qui forme le sommet du comté Donnegal,
m'arrêtai pour souper au coin d'une clairière
où bruissait doucement une jolie rivière
dans un lit de cailloux caché par des ajoncs.
Le ciel était très beau, l'été encor bien chaud,
quand j'eut fini souper, je coupai quelques joncs
pour faire semblant de lit quoique vraiment pas haut,
puis m'étendis enfin, les yeux au firmament.
Il était bien minuit quand un bruit brusquement
me tira du sommeil. Mon feu était éteint,
la lueur des étoiles éclairait faiblement
ma dague à mon côté, mais très étrangement,
ma harpe ait empoigné. J'ai pensé à Morgane
que j'avais vu rêver en forêt de Bretagne
par mes notes enchantée, et je me suis levé.
Elle était grande et belle, mais sa corne dressée
d'un geste tout soudain vers moi s'est abaissée:
une licorne blanche! Un coup a renaclé,
puis vers le Fou surpris, au trot s'est élancée.
Je n'ai dû mon salut qu'à un bond de coté,
mais mon pauvre chapeau s'était fait empaler.
Ai fait chanter ma harpe et licorne arrêtée
a relevé la tête, de mon chapeau coiffée.
J'ai joué pour la Bête tous les lais de Bretagne
y compris les morceaux qui enchantaient Morgane.
C'était musique à fées, aux notes parfois gaies,
parfois tristes aussi, piquantes comme baies,
douces comme source, du pousse-au-rêve enfin.
Quand la dernière note en l'air s'est dissipée,
sommes restés tranquilles, à voir la brume au loin.
Après quelques moments, la licorne a bronché,
mon chapeau est tombé, du museau l'a touché.
Elle a bronché encor, puis du bout de la corne
elle a touché ma harpe. Et partit la licorne,
par la brume avalée, me laissant bouche bée...
Il n'y a pas de suite à cette courte histoire:
ai vu licorne blanche, Dame Licorne Noire,
et la jolie Morgane ma harpe fit rêver...
Qu'est-ce qu'un simple Fou de mieux pourrait rêver?
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