Le lecteur connaît les charmes et les affres de la vie quotidienne dans les grandes capitales, surtout Paris. Sans doute ne partagera-t-il donc pas entièrement l'effroi pour ne pas dire l'épouvante qui fut la mienne lors d'un simple voyage en autobus que je ne tarderai pas plus longtemps à narrer.
C'était par un beau jour d'été et sous un soleil ardent. La foule, très dense, des transports en commun, semblait frappée d'un insurmontable abattement. Mais qui était-ce, là, qui me pressait davantage de seconde en seconde? Encore un passant anonyme persuadé comme moi qu'il se sentirait beaucoup mieux ailleurs? Que non pas... Je me vis au contraire cerné de fabuleux démons. Ils n'avaient rien à envier aux Eurymone, Baalberith, Astaroth et autres Chamoos de l'ancienne Mésopotamie. On eût dit leurs cous allongés par le supplice de la potence. Pâles et morbides, ils me fixaient tandis que j'éprouvai de plus en plus quelque chose qui, parmi les sensations terrestres, pouvait se comparer assez à la rêverie du mangeur d'opium.
Les bizarres étaient affublés de couvre-chefs poussiéreux. Et qu'avaient ces coiffures en guise de ruban? Des cordes de gibet tressées? Pour me faire entrevoir sans doute ce que seraient pour moi les supplices de l'Érèbe, ils me heurtèrent plusieurs fois de leurs cubitières avec une rare violence. Leur troisième coup m'arracha un hurlement plaintif. Je m'écartai honteusement, stigmatisé pour la vie, plus halluciné qu'Antiochus, et me glissai à travers le magma inhumain vers un endroit plus paisible, à l'arrière de l'autobus.
Après plusieurs heures, encore tout frissonnant, tandis qu'une souffreteuse brume s'emparait du paysage, je vis (O Dieu!)... Ils étaient de nouveau là, les suppots du Grand Méphistophélès, les horribles passagers du bus infernal. Là! Sur le bord du trottoir...
Un marabout d'une pâleur cadavéreuse leur ordonnait de déplacer les boutons d'écume de mer de leurs noirs macfarlanes.
C'est, bien sûr, l'auteur bostonien des HISTOIRES EXTRAORDINAIRES dont on adopte ici la verve aiguisée par le morbifique alcool.
CUBITIERE: «Pièce des anciennes armures, qui couvre le coude». On dit aujourd'hui coudière (langage du sport). J.-Fr.P.
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