Le sort du Fou.

Le Fou va raconter histoire qui jadis
est vraiment arrivée: j'étais tout jeune encor
quand arriva chez mes parents jeune gardienne
sitôt fut engagée pour garder les enfants.

La peau plus sombre que la forêt,
cheveux plus rouges que la braise,
crêpus comme mousse en clairière,
les yeux plus verts que l'eau du lac,
le rire plus frais que la rosée,
deux jolis seins si haut perchés
que nul n'aurait pu deviner
qu'elle avait plus de dix-huit ans.

Comment aurais-je pu éviter à seize ans
de tomber amoureux d'une aussi belle enfant?
Ses petits doigts dans mes cheveux m'ont appris que
j'étais enfant aux yeux de celle que j'aimais tant.

Elle portait à son côté,
dans un fourreau comme une épée,
tige de bois droite, verte et spiralée.
"C'est de ma mère que je la tiens:
d'une corne de licorne c'est la copie qui me protège
tant des amours adolescentes
que des adultes violences."

Dans ma famille pendant six mois elle est restée,
bavardant, gaie, avec les grands, jouant riant
et racontant belles histoires aux 'tits enfants.
La regardais et l'écoutais, très fasciné.

Enfin la route l'a rappelée,
et au printemps s'en est allée.
Ce soir-là en me couchant,
c'est sous mes draps que j'ai trouvé
la corne de licorne en bois vert et sculpté.
Hélàs pour moi, n'ai pas compris
qu'entre mes mains sa protection abandonnait,
et par ce geste m'appelait.
La nuit j'ai passé à pleurer
au lieu d'aller lui rapporter
sa corne de licorne et l'amant qu'elle voulait.

Trente ans plus tard, devenu Fou, je vois enfin
ce qu'alors je n'avais pu voir: corne de bois
verte et sculptée qui trente ans m'a protégé
d'amours adolescentes et d'adultes violences,
le long de ta spirale en coches irrégulières
se lit tout un message écrit en oghamique.
Sur le dessin qui suit, ce message ai transcrit.

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Destrier, chambellan, sénéchal, ou même vous,
savant Alcofribas Nasier, qui pourra me traduire
le message que sur sa corne elle m'a laissé?
Sera-ce vous, noble nounou, ou vous, grand jardinier,
ou bien l'inquisiteur, ou le maître brasseur,
ou le mage sorcier? Peut-être son Altesse
pourra-t-elle m'aider? Je vous demande, amis,
un bien énorme effort: pourriez-vous me lire
le sort qui, je crois bien, me lie encore?

(s) Fol, Fou du château d'A.


Tentative de traduction.

Son Altesse Princière a daigné me répondre:

Que votre histoire est aussi belle que triste...

Belle? Je ne sais pas. Triste? Ne pleurez pas:
le Fou a répandu bonheur autour de lui,
ce qu'il n'a pas connu, l'a donné à autrui.
S'il n'a pas pu aimer, au moins a su aider.

Je ne peux hélàs que vous apporter un début de réponse... Ces lettres antiques ai pu déchiffrer, mais leur sens encore a du m'échapper, ou peut-être simplement le sens dans lequel les lire... Normalement ces mots se tracent à la verticale sur un axe horizontal répresenté ici par les tirets...

Sur la corne de bois en spirale tournée
ces mots d'ogham enfin ai cru bien déchiffrer,
mais peut-être tenais-je la corne à l'envers?
La pointe vers la droite, au lieu de vers la gauche?
Cela changerait-il les lettres que l'on lit?
Dessus serait dessous, et le contraire aussi...
Ou devrais-je regarder dans un miroir d'étain
la corne de bois vert et son message ancien?
Car la jolie Kirin me le disait souvent:
"Regarde le miroir, réfléchit clairement,
le sens caché des choses on lit facilement:
celé dans les symboles est un entendement."
J'étais garçon fort simple et sa subtilité
à mon très grand regret bien trop tard ai percé:
si m'a donné la corne, a gardé le fourreau...
C'était pourtant bien simple et clair comme de l'eau!

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     C     I M A     I M    E    Z    E   F
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  M    E    S B    E    Z    S B    E    Z
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   D A    S  O     R    C    E   T  O   U    C
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   G   U     I  L    E     R A   T    E     R    C
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  M  O     I   T     I    QU  O     C   T  O   U    C
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   G A     R  L    E     R A    S  O M M    E
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   D    U   T     I   F A M  O     I
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      N     I     R     I    QU

Hélàs ne suis qu'un Fou et cette traduction
ne me paraît vraiment pas plus claire qu'avant...
Voici ce que me donne mon vieux miroir d'airain
quand je montre la corne à son reflet éteint:

 
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Peut-être est-ce plus clair à vos esprits subtils,
ô gens de ce château qui gentiment m'aidez...
De vos gentils propos, veux vous remercier!

(s) Fol, Fou du Château d'A.


Traduit!

Son Altesse Princière a traduit le message
que la jolie Kirin a gravé sur la corne
quand le Fou était jeune et amoureux d'icelle:

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     S     I M A     I M    E    Z    E   T
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  M    E    C H    E    Z    C H    E    Z
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   L A    C  O     R    N    E   V  O   U    S
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   G   U     I  D    E     R A   V    E     R    S
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  M  O     I   S     I     N  O     N   V  O   U    S
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   G A     R  D    E     R A    C  O M M    E
 -,,-||||-,,,-|||||-'''-|-\-||-|||||-
   L    E   F     I   T A M  O     I
 -'''''-|||||-\\\\\-|||||-,,,,,-
     QU     I     R     I     N

"Si m'aimez et me cherchez, la corne vous guidera vers moi.
Sinon vous gardera, comme le fit à moi.
Kirin."

Assis dessus le banc, les coudes sur la table,
la tête entre les mains, Fou pleure doucement.
Après un long moment, se lève corne en main
puis se met à tourner comme aiguille de montre,
la pointe de la corne balayant l'horizon.

"La corne m'a gardé, ô si jolie Kirin:
d'amours adolescentes et d'adultes violences
ne connaît que les noms - j'ai toujours évité
ces ardentes passions. Je n'ai qu'un seul regret:
maintenant que je sais, trop de temps a passé,
corne ne guide plus. J'aurais beau te chercher
sur tous les continents, toi si jolie Kirin,
ton attente est passée, le chemin oublié."

Mon cher fou... Êtes-vous si troublé que lire ne pouvez l'écriture de vos ancêtres?

C'est que ne suis qu'un Fou, point un druide savant!
Je sais lire et écrire en un seul alphabet,
des runes et de l'ogham, ne connais le secret.
Je connais des histoires et quelques mots magiques,
je sais gratter la harpe au pays d'Armorique,
je connais quelques chants, je parle à tout venant,
mais des lettres d'antan je n'ai que peu appris:
un Fou n'est après tout qu'un barde malappris.

Nous confierez-vous l'ultime secret de la corne?

C'est un secret tout simple: la si jolie Kirin
est fille de Kéridwen et donc la demi-soeur
du barde Taliésin. Dans des temps plus anciens,
on écrivait Creirwy (qui signifie "joyau")
le nom que l'on écrit de notre temps "Kirin".
Au lieu que d'être un Fou, si je l'avais suivie,
serais devenu barde et j'aurais pu chanter
à tous vents et saisons son infinie beauté.
Kirin est sans égale en la nation celtique,
sa beauté sans pareille et ses chants sont magiques!
Làs, quand j'avais seize ans, fus aimé d'une fée
mais mon aveuglement l'a laissé s'en aller.
Sa mère Kéridwen était, dit-on en Eire,
licorne, femme et fée. Et Kirin m'a donné
la corne que sa mère pour elle a fabriqué...
Je suis devenu Fou, mendiant et pauvre hère,
cherchant un peu partout ce que j'avais en main:
ce qui me montrerait du bonheur le chemin.
Si j'avais grand courage, je planterais la corne
au milieu de mon coeur: la corne de licorne
arrêterait mes pleurs. Mais Fou est sans courage,
si verte et spiralée, la corne me protège:
nul ne peut plus m'aimer, nul ne peut me blesser.

Cher fou, voilà bien peu de chose de cette écriture que je decouvris hier grâce à vous... Il faudra encore moultes fois nous enchanter de vos légendes et pays enchantés....

Les désirs de son Altesse sont les ordres du Fou,
les désordres du Fou sont les ires de son Altesse.

D'avoir traduit, merci! Je vois quel est mon sort:
le Fou fera le fou pendant longtemps encor!

(s) Fol, Fou du Château d'A.

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