Une missive du Fou

Par un courrier ailé, quelques mots griffonnés
au solstice d'été pour dire à Son Altesse
et à sa noble cour que le Fou dans sa quête
ne s'est point arrêté.
          Après avoir quitté
l'incroyable château sis sur le premier roc
qui depuis le big bang absorbe noir de noir
pour en faire des rêves et des plaisirs subtils,
le Fou s'est éloigné, guidé par verte corne,
d'un pas très régulier, en chantant mélopées.

Ai traversé les prés, longé lac du château,
puis j'ai rencontré haies qui m'ont barré chemin.
Une demi-journée, je les ai contournées,
puis me suis endormi au bord d'une forêt.

Si j'ai rêvé la nuit, quand me suis réveillé
ne m'en souvenais guère. J'ai donc repris la marche,
guidé par la lumière qui jaillit de la corne
quand pointe vers nord-est. Ai trouvé un chemin
de bonne direction sous le couvert feuillu.
J'ai cheminé longtemps. Il n'y a plus ici
ni champs ni prés ni lacs, pas de maisons non plus:
c'est vraie sauvagerie. Des arbres aux troncs tordus,
d'essences inconnues. Des lianes enchevêtrées,
des buissons épineux, quelques clairières aussi.

Mon chemin a croisé quelques autres sentiers
dont la terre battue avait gardé parfois
des empreintes de pas comme oncques nul ne vit.
Six doigts fort bien griffus, quelques fois c'était trois.
La marque d'une queue qui traînerait au sol.
Quelques branches broyées à six bons pieds de haut.
Un caillou écrasé par quelque poids énorme.
Et même mon chemin...
          Hier, j'ai longé marais
plutôt pestilentiel. La terre du chemin
était comme une lyse et prenait bien mes pas.
Soudain je m'arrêtai: dans la boue du chemin
je voyais les empreintes - un bien grand animal
était passé par là. Des sabots à trois doigts
comme jamais je n'ai vu, largement étalés
comme pour mieux marcher sans glisser dans la fange.

Cette nuit j'ai dormi dans ce que je crois bien
être une ancienne ruine: quelques pierres en rond,
comme le pied d'un mur ou le bas d'une tour,
en haut d'une colline ou passent trois chemins.
La colline à sa base est presqu'un hexagone
où les chemins se croisent en six points bien distincts.
La colline est sans arbres: cailloux, herbes et buissons
Près du cercle de pierre j'ai trouvé sur le sol
un bout de terre cuite et un morceau de fer
passablement rouillé - peut-être un bout de lame?

J'ai vu ces derniers jours un grand nombre d'oiseaux
dont les formes et couleurs m'ont paru bien étranges...
Mais qu'est-ce qu'un pauvre Fou vient vous raconter là?
Ne suis point jardinier, encor' moins oiseleur!

Toujours est-il qu'enfin j'entendis ce midi
un oiseau roucouler. Quelle ne fut ma surprise
de reconnaître en lui un des braves pigeons
du noble jardinier qui sait soigner si bien
les jardins du château! J'ai donc écrit ces mots,
puis les ai attachés d'un bout de fil de soie
au dos de cet oiseau. Puisse-t-il retrouver
sans tarder le château et vous porter enfin,
Altesse Princière, ce tout petit rouleau
portant ces quelques mots.
          Quand il sera parti,
égrenant pour moi seul des notes harmoniques,
je reprendrai ma route, car ma harpe celtique
me fait sentir, enfin, un peu moins seul ici
dans la sombre forêt que lentement traverse...

(s) Fol, Fou du Château d'A,
parti en quête de jolie Kirin.

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