Module 20. Le Roman. La Nouvelle. 72 interactions. 31 QCM.

Les narrations.

Partant d'une idée comme il y en a dans les dissertations, comment faire pour prendre une nouvelle direction et entreprendre un récit? Supposons qu'on veuille exprimer l'idée que quelqu'un est soigneux.
Un personnage de votre roman veut dire combien sa soeur est une personne ordonnée.
1 Elle s'habille bien. Elle attache ses cheveux avec des rubans, ou des pinces.
2 Vous devriez voir sa chambre. Un lit bien fait. Tous les vêtements pliés dans le placard.
3 Je n'ai pas le temps de l'aider à desservir. Je mords dans la dernière rôtie que le grille-pain est déjà dans l'armoire.
4 Hier, je sors le grille-pain, et le temps de prendre du pain tranché dans l'armoire, il avait disparu. Elle l'avait rangé!
Réaction 1


Narrer, c'est donc faire agir et parler des personnages, et nouer une intrigue (qui mène secrètement à la conclusion visée par vous...) Qu'est-ce qui distingue de la dissertation le roman ou la nouvelle? Que trouve-t-on dans les narrations, d'essentiel, alors que dans les dissertations, ce serait secondaire?
Réaction 2


De l'action, des événements. Alors que les genres didactiques placent le locuteur-scripteur au niveau des idées, le roman parle de ce qui arrive à des personnages, dans une situation, et il y a un narrateur (ou une narratrice). On distingue le récit (au passé), la chronique (au jour le jour), les mémoires (d'un individu). Est spécifiquement littéraire ce qui crée un univers fictif.
Parmi les énoncés suivants, lequel s'intègre le plus clairement dans une narration?
1 Danièle mange trop de pommes.
2 Franchement, ce serait un peu vulgaire.
3 Il n'y avait nul doute qu'elle reviendrait.
4 Que restait-il de leur objectivité?
Réaction 3


La première phrase d'une oeuvre suffit souvent à établir le genre littéraire. Elle crée ainsi une attente qui orientera la suite et le «fil du discours». Ce que l'on dévoile et ce que l'on garde caché pour tenir son lecteur en haleine jusqu'à la fin est le «code herméneutique» (dans la terminologie de Roland Barthes). Pour être une action avec des personnages, l'oeuvre n'en est pas moins une sorte de dialogue énonciatif.
«Vers la fin d'une journée d'hiver, sous un ciel gris balayé d'un vent glacial, une voiture allait au petit trot en bordure des champs labourés.»
1 Bonne phrase de début pour un roman.
2 Mise en situation sans plus. Pas de tension, pas même de personnages.
3 On sent que le reste suivra.
4 Trop littéraire.
La muraille de papyrus, roman d'Elyeen Harrold, commence comme suit: "Guy Buckley mit son moteur au ralenti, se laissa piquer vers l'est, et atterrit à Bor." Å partir de cette première phrase, on peut penser ________.
1 qu'il s'agit d'un roman d'aventures
2 qu'il n'y aura pas plus d'un personnage
3 que c'est un récit historique
4 que c'est une histoire d'amour
Lequel de ces débuts de roman vous paraît le plus intéressant?
1 Oph (c'est le nom égyptien de la ville que l'antiquité appelait Thèbes aux cent portes ou Diospolis Magna) semblait endormie sous l'action dévorante d'un soleil de plomb.
2 Ce soir froid de février 1924, sur les sept heures, un homme paraissant la soixantaine bien sonnée, avec une barbe inculte et d'un gris douteux, était planté sur une patte devant une boutique de la rue de la Glacière (etc.)
3 Xavier Frontenac jeta un regard timide sur sa belle-soeur qui tricotait, le buste droit, sans s'appuyer au dossier de la chaise basse qu'elle avait rapprochée du feu; et il comprit qu'elle était irritée.
4 D'autres en auraient pu faire un livre; mais l'histoire que je raconte ici, j'ai mis toute ma force à la vivre et ma vertu s'y est usée. J'écrirai donc très simplement mes souvenirs (etc.)
Réaction 4


Du conte au nouveau roman (en passant par le roman, classique, romantique, réaliste) cette fictivité évolue dans ses moyens et tend vers une saisie de plus en plus efficace du réel (mais, comme en astrophysique, cet objectif semble s'éloigner à mesure qu'on approche).

Quels sont les procédés communs à toutes les époques? Il y a la narration en général, par définition. Celle-ci inclut des actions et des personnages, donc : exposition, intrigue, péripétie, moment crucial, incident déclencheur, catastrophe, revirement de situation, succès, bonheur. L'action est vécue par des personnages dans ses phases successives, appréciées par l'auditoire implicite comme bonnes ou mauvaises.
Voici un début de roman. "Raymonde prêta l'oreille. De nouveau et par deux fois le bruit se fit entendre, assez net pour qu'on pût le détacher de tous les bruits confus qui formaient le grand silence nocturne mais si faible qu'elle n'aurait su dire s'il était proche ou lointain, s'il se produisait entre les murs du vaste château ou dehors, parmi les retraites ténébreuses du parc." (M. Leblanc, l'Aiguille creuse) Quelle est, parmi les informations suivantes, celle qui ne vous est pas clairement donnée dans ce paragraphe?
1 Qu'il s'agira d'un roman à suspense.
2 Que le milieu social sera aristocratique.
3 Que l'action dramatique est annoncées par un bruit insolite.
4 Que Raymonde sera le personnage principal.
AMOUR! AMOUR! est le titre choc du chap.1 d'un roman de Gaston Leroux, le Château noir. Regardez! on voit encore la cicatrice!... Rouletabille se pencha sur le cou nu qui s'inclinait avec grâce et, à l'échancrure du chaste décolletage, près de l'épaule ambrée d'Ivana, il aperçut la ligne blanche, très nette, qu'avait laissée le coup de poignard. Troublé, le jeune homme fit un signe de tête en rougissant. Il avait vu. --- Les sauvages! murmura-t-il dans son émoi.
1 Le roman débute sur une scène de séduction.
2 Non. Rouletabille enquête.
3 Leroux présente son roman comme la suite du précédent.
4 (Autre chose)
Réaction 5


En se posant la question des intentions de l'auteur quant à la conduite de son texte (au lieu de se laisser conduire par l'aventure), on peut s'instruire par la pratique, voir comment font ceux qui ont réussi avant nous. Intrigue, rebondissement, caractères, dialogue sont les ingrédients de base. Ils donnent à l'énonciation une durée qui est celle de l'énoncé.

Fréquente est la déchronologie, qui permet de souligner l'interprétation ou la causalité. Un récit un peu étendu comporte des assertions de temps et de lieu, des circonstances (atténuantes ou aggravantes), une atmosphère, voire un suspense... prometteur. On est déjà, dès lors, dans les artifices.
«Haletants, ils coururent tous à la porte du grand palier, mais avec une légèreté de pieds incroyable, comme s'ils marchaient sur des oeufs. Et ils étaient tous les quatre là, penchés, ne respirant plus, maintenant. On entendait deux pas qui montaient.» (G. Leroux, Rouletabille chez le tsar)
1 Suspense.
2 Exagération.
3 Tribulations.
4 Récit d'horreur.
Réaction 6


L'imminence d'une catastrophe est au roman ce que la poursuite en voiture est au film policier ordinaire : le moyen le plus facile d'attirer l'attention. Comme la réussite dépend de la tension obtenue, c'est même devenu un sous-genre : le thriller (Hitchcock, la Mort aux trousses, Sueurs froides).

Le déroulement temporel est donc un paradigme à façonner, pour faire un roman. Qui voudrait dénuder le procédé n'aurait qu'à le pousser jusqu'à l'absurde, comme fait ci-dessous, une variante aux Exercices de style de Queneau, intitulée «Conte à rebours».
L'emmanché d'un long cou, à midi quinze, dans le bus S, il est assis. Il se lève et se précipite à reculons vers l'avant, laissant une place libre.
Il s'irrite contre un voisin sans aucune raison. Voilà que son voisin le bouscule. Mais le dégingandé de plus en plus se calme. Les deux hommes finissent par s'ignorer comme si rien ne s'était passé. Je le remarque, alors, car, descendant du bus, il reste à l'arrêt un bon moment.
_____
Ce n'est pas seulement une déchronologie (flash back) : c'est une inversion de l'ordre pour une suite d'événements, comme si on voyait défiler un film à l'envers, ce qui de plus inverse le sens de chacune des actions. Le personnage au long cou cède sa place au lieu de s'y réfugier, il maîtrise progressivement sa colère et sa peur au lieu de se laisser gagner par de tels sentiments.


Le «sens» de l'épisode diffère, c'est le cas de le dire, et l'on voit comment la langue a pu passer, pour le mot sens, de «direction» à «signification».

Comment faire pour donner, non plus du sens à une action, mais le contraire (puisque nous partons d'un faisceau d'arguments et que nous voulons tisser une intrigue)? Autrement dit, comment inventer une action dont le sens sera celui que nous voulons illustrer?
Réaction 7


Autant le sens fait corps avec l'acte par sa durée, qui crée l'événement, autant l'inverse est difficile sinon impossible, en sorte qu'un détour est nécessaire. Mais la déchronologie aura eu ceci de bon, du moins, de nous faire prendre conscience du caractère irréversible de la durée, et que les actions ont un sens qui leur est propre, indépendamment de leur interprétation.

Sans compter les rebondissements, l'inattendu, les retournements de situation!

Et puis l'intérêt du lecteur dépend de l'issue pressentie mais aussi des heurts et des retournements. Donc, ne montrons pas trop clairement le dessous de cartes mais, à force de regarder autour de soi les gens qui vivent et agissent plus ou moins librement et avec un succès parfois inverse à celui qu'ils ou elles peuvent espérer, à force de voir des films et de lire des romans, et de rassembler ses propres souvenirs, il est possible d'inventer des scènes en relation avec nos antagonistes et leurs visées, et des événements qui sembleront corroborer tel ou tel de leurs arguments, de manière aussi peu préconçue que dans la vraie vie. La vraisemblance peut primer sur l'interprétation. C'est même sans doute une supériorité de l'action sur la pensée, que, n'étant pas trop directement liée au sens, elle permet de développer un message moins univoque, plus compréhensif, que le lecteur entérinera à sa guise.

D'ailleurs, la narration aime à donner la parole à ses personnages. C'est le «discours direct».
Placez les signes d'assise. "J'ai demandé à Marie si elle avait pensé au fromage. Elle m'a dit évidemment je ne compte pas sur vous pour me rappeler ce que j'ai à faire." (R. Pinget, Quelqu'un)
1 ... dit: "Évidemment. Je ......"
2 ... dit évidemment: Je ......
3 ... Marie: si elle ...... ... dit: "Évidemment, je......"
4 dit --- Évidemment. Je ......
Réaction 8


Le discours qui narre est normalement indirect (Elle m'a dit qu'elle ne comptait pas sur moi pour lui rappeler ce qu'elle avait à faire). Ce discours indirect est appelé libre quand on ne mentionne pas le segment énonciatif (Elle m'a dit que est supprimé; reste Elle ne comptait, etc.) Libre ou non, le discours indirect actualise d'après le point de vue du narrateur. Les pronoms ne changent pas. Le discours direct, par contre, opère un changement de locuteur, ce qui modifie souvent tous les pronoms. (Elle ne comptait pas sur moi devient Je ne compte pas sur vous.)

Procédés romanesques.

Les procédés de la narration sont présents dans le conte comme dans le roman et la nouvelle mais certains de ces procédés conviennent moins, ou davantage : le suspense, typique du polar, n'est pas à l'honneur dans le roman classique, ni dans le conte; et le récit circonstancié, ou l'assertion du temps, du lieu, servent dans le roman moderne, romantique ou réaliste, ou dans le polar (quand le concret occupe une place essentielle) mais moins dans le roman classique, ou dans le conte, dont le contexte référentiel est plus conventionnel et trop bien établi pour demander tant de détails; de plus on ne cherche pas à faire réel ou concret.

On dirait que le récit a commencé par s'éloigner du réel, pour mieux paraître ne pas y toucher sans doute, ou par idéalisme. La tendance s'est inversée dès la Renaissance et déjà chez Cervantes, l'imaginaire veut se faire passer pour vrai.
Il était environ neuf heures du matin quand une élégante voiture blanche s'arrêta sur le parc de stationnement à la périphérie de la ville d'eau (les automobiles n'avaient pas le droit d'aller plus loin) et quand Klima en descendit. (M. Kundera, la Valse des adieux). Qu'est-ce que cette phrase entre parenthèses?
1 Une précision simplement.
2 L'auteur vise la simplicité du style en évitant les phrases complexes.
3 On dérobe sous des parenthèses une pure information, s'excusant ainsi de devoir en fatiguer le lecteur (que le récit seul préoccupe).
4 La parenthèse produit ici un "effet de réel".
Réaction 9


Un bon moyen de produire des effets de réel est de faire intervenir le hasard. Il ne faut pas que le hasard produise trop de sens, pourtant. Le Candide de Voltaire se laisse conduire aveuglément par les événements mais on sent trop la main de l'auteur. C'est du hasard dirigé. (Paradoxalement, Voltaire le dirige à l'encontre de l'idée leibnizienne de providence.) L'effet de réel ne joue que si le sens est retourné par le hasard.

Si tout dépend du narrateur, mieux vaut l'avouer d'emblée.
"J'ai six ans et le derrière tout pelé." Ainsi débute le Testament d'un blagueur de Jules Vallès (1869). C'est un récit d'enfance de type autobiographique. Le nom du héros: Ernest Pitou. Qui parle ici? Qui est l'énonciateur d'une telle phrase?
1 Ernest Pitou comme personnage.
2 Jules Vallès.
3 Ernest Pitou comme narrateur de sa propre histoire.
4 (2 et 3)
L'Étranger de Camus débute ainsi: "Aujourd'hui, Maman est morte." Que vous connaissiez ou non la suite du roman, que pensez-vous pouvoir tirer de cette seule première phase comme renseignement sur les personnages, l'action et le type de texte narratif?
1 Tout le récit sera mis dans la bouche d'un même personnage.
2 Ce sera dramatique et intime.
3 La fiction va se dérouler au présent.
4 C'est du nouveau roman.
Réaction 10


En établissant un narrateur intermédiaire, on sort du réel trop direct sans verser dans le hasard, trop contraignant. Toutefois, le statut de réalité restera entre deux chaises. Le récit a un statut très clair : vraisemblance sans plus, mais maximale. L'action épouse la visée!

Le texte romanesque contient donc de la narration, essentiellement; cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas aussi de la description. La base du texte est narrative, mais avec des parties parfois explicatives ou descriptives.
M. Elie de Coëtquidan, vissé sur une patte, bousculé par les passants, mais imperturbable, lut en entier son journal à la lumière de cette boutique de coiffeur. (Montherlant, les Célibataires, pl. p.738)
1 Diatypose.
2 Hypotypose.
3 Clou d'or.
4 Description narrativisée.
Réaction 11


La description est elliptique (diatypose), et le classicisme la maintient dans un rôle accessoire et une dimension moyenne (hypotypose), mais elle est parfois très développée (Balzac, Barbey d'Aurevilly, Robbe-Grillet). Une figure qui fait voir davantage encore est la dépronomination (Voltaire, Anne Hébert), qui consiste à répéter les lexèmes quand on pourrait les remplacer par des pronoms.

Desnos la pousse jusqu'au ridicule : "J'ai doigt doigt doigt doigt doigt à chaque main main". Cette fois, le mot lexical prime sur la forme grammaticale du numéral (cinq, deux). L'actualisation, en cédant la place au lexique, devient iconique.

Y a-t-il place dans le roman pour des vérités assez générales, plus abstraites que les descriptions?
Kara Selim s'approcha d'Ivana. Il n'est point dans la coutume que le fiancé lève le voile de la fiancée sans beaucoup de cérémonies (...) Ce n'est généralement qu'après mainte prière et mainte sollicitation que le fiancé parvient à vaincre la modestie de sa fiancée et qu'il obtient pour la première fois d'admirer ses traits. (...) Kara Selim ne fit point tant de manières. (G. Leroux, le Château noir, chap.18) Le paragraphe au présent intemporel est ______.
1 une explication
2 une description prétexte
3 une narration
4 une description narrativisée
Réaction 12


Que devient le dialogue théâtral quand il est entraîné dans le roman? On peut transposer des conversations en style indirect (N dit que...) ou faire parler les personnages. Entre les deux se situe toutefois le dialogisme comme procédé.
La prosopopée, qui consiste à faire parler les absents ou les morts, caractérise le style élevé ou sublime. Mais d'autres figures mettent en scène l'interlocuteur, notamment le dialogisme. Celui-ci ________.
1 fait parler deux interlocuteurs réels, naïvement. Il appartient au style familier.
2 adresse la parole à un interlocuteur, directement. Il relève du simple.
3 donne la parole à un interlocuteur fictif et relève du tempéré.
4 met en scène deux interlocuteurs fictifs et relève du châtié.
Réaction 13


Avec la prosopopée, on adresse parfois la parole à quelqu'un mais de façon plus poétique (et rhétorique) que théâtrale. La prosopopée est une feinte, qui traite l'énoncé comme s'il s'agissait de l'énonciation.

L'inverse est possible aussi : faire passer l'énonciation dans l'énoncé; l'auteur parle à son lecteur, c'est la parabase. (Ex. Deux heures après, devinez qui je rencontre? Queneau, Exercices de style, p.13) Que penser des cas suivants?
«(Julien) s'approcha vivement du comptoir et de la jolie fille, comme il eût marché à l'ennemi. Dans ce grand mouvement, son paquet tomba. Quelle pitié notre provincial ne va-t-il pas inspirer aux jeunes lycéens de Paris qui, à quinze ans, savent déjà entrer dans un café d'un air si distingué?» Stendhal, le Rouge et le Noir, I,24.
1 Stendhal souligne le ridicule dont se couvre son héros. Persiflage.
2 Il pose une question à son lecteur. Parabase.
3 La question est oratoire, elle cache une exclamation. Épiphrase.
4 L'auteur sort du fil de son histoire pour commenter celle-ci. Demi-parabase.
^O mon pays, laisse-moi t'aimer, laisse-moi te servir en cultivant ton sol sacré! s'écrie, dans Angéline de Montbrun, Laure Conan elle-même. Quand un auteur interrompt son récit et adresse ainsi la parole à qqn ou à qqch., on est en présence d'une ______.
1 exclamation
2 apostrophe
3 parabase
4 prosopopée
«Les yeux de l'abbé de Percy n'étaient pas des yeux: c'étaient deux petits trous ronds, sans sourcils, sans paupière», «la prunelle de ce bleu, impatientant à regarder (tant il était vif!)», «les verra-t-on d'ici, ces yeux-là? Mais quand on les avait vus en réalité, on ne pouvait plus les oublier.» Barbey d'Aurevilly, le Chevalier Des Touches.
1 Question en l'air (on ne sait à qui elle s'adresse).
2 Scène énonciative (l'énonciation est mise en scène).
3 Actualisation incertaine (plus d'un environnement implicite se présente).
4 Parabase (on s'adresse au lecteur).
Réaction 14


En somme, derrière son texte, le narrateur joue parfois un peu à cache-cache. Même sans le laisser paraître.
[Une longue description de la maison Cormon (dans la vieille fille de Balzac) se termine par une courte phrase: Une froide exactitude s'y faisait partout sentir. (pl., IV, 851)
1 Épiphrase.
2 Épiphonème.
3 Résumé.
4 Généralisation.
Réaction 15


Et la poésie, et l'humour, sont-ils possibles dans le roman?
Muguet avait un verre dans le nez. À ses côtés, Benjamin marchait dans le scintillement des enseignes lumineuses. --- L'avenir est à la publicité, pensa Muguet. La lune était au-dessus d'eux comme une réclame pour le ciel. --- C'est beau, dit Muguet, elle est pleine... --- Tu es rond! --- Elle est ronde... --- Tu es plein! (A. Blondin, l'Europe buissonnière, I,2)
1 Dialogue de sourds.
2 Esprit de bottine.
3 Chacun prend l'autre au mot.
4 Il y a deux glissements par synecdoque généralisante.
Réaction 16


Évidemment, bien d'autres figures romanesques sont à considérer. Elles sont dans la clé (www.cafe.edu) aux dossiers sur le roman, selon les époques.

Vous proposez-vous d'écrire un épisode de roman? Vous avez le choix du roman classique, romantique, réaliste, moderniste, post-moderniste...

Pour les premiers pas, un petit genre facile, bref, élémentaire : le conte.

Comment écrire un conte.

On choisit un personnage (ou un groupe) et des actions (des péripéties, des épreuves), qui ont une «fictivité avouée» (insolite, merveilleux, héroïsation). Tout se déroule dans un lieu et un temps qui sont autres que ceux de l'énonciation (où le conteur se situe quand il s'adresse à son public) mais qui ne doivent même pas être précisés.

Le récit n'a pas besoin d'être bien long. Il y a des contes d'une demi-page! Quel serait le début?
Réaction 17


Le conte débute sur son encadrement énonciatif : «Il était une fois» ou «En ce temps-là». Cet univers est la plupart du temps indéterminé, c'est-à-dire que les temps et les lieux sont rarement évoqués avec précision; l'actualisation reste vague, de sorte que le conte donne l'impression de se situer hors du monde (le roman au contraire cherche à s'inscrire dans le monde en situant l'histoire racontée; et la nouvelle est encore plus ancrée dans l'actualité des interlocuteurs).

Le conte doit-il être réaliste et vraisemblable?
Réaction 18


Il doit être fictif, au contraire. Et la fiction doit se montrer avec évidence pour que le public sache qu'il est en littérature. Dans le conte, tout est possible: un personnage peut dormir cent ans, les objets sont doués de pouvoirs, les êtres faibles peuvent triompher du Mal, etc. Les lois qui régissent l'univers des contes ne sont pas toujours les mêmes que celles qui régissent le monde réel. Les personnages sont monolithiques, unidimensionnels, ils n'ont aucune profondeur ou densité; ils n'ont pas besoin d'avoir de complexité ni même de subjectivité. On dit que le conte est un récit objectif : c'est que le locuteur ne cherche pas à y inscrire sa subjectivité propre.

L'univers du conte est-il fin et nuancé?
Réaction 19


L'univers du conte est manichéen, formé d'oppositions simples (procédés: énantiose, contraste, caricature, image d'Épinal). La construction et le langage du conte sont élégants mais simples : grande lisibilité, texte accessible à tous.

L'univers du conte est-il effrayant ou rassurant?
Réaction 20


C'est un genre optimiste : la plupart du temps, le conte finit bien. Il présente une vision rassurante du monde, d'où l'impression que le conte s'adresse aux enfants. Mais souvent, il est cru, ou violent: il y a des meurtres (ex. l'Ogre qui mange les enfants), des combats, des souffrances physiques et morales décrites sans détour, etc. Il arrive même que le conte se termine mal (par exemple, le Petit Chaperon rouge). C'est seulement depuis le XVIIe siècle en France que les contes sont destinés aux enfants. Dans les sociétés traditionnelles, les contes s'adressent aux adultes. Comment caractériser, alors, le public visé?
Réaction 21


Le conte, malgré sa «fictivité avouée», s'inscrit dans une communauté : il est marqué par les valeurs et les codes qui la caractérisent. Il est issu de la tradition populaire : plusieurs de ses éléments appartiennent à la mémoire collective (on a longtemps dit que le conte était fait par et pour le peuple, et le fait que les contes soient identifiés à des auteurs précis est relativement récent; longtemps le conte a été anonyme, il appartenait en quelque sorte à tous). C'est ce qui explique que le conte comporte souvent un aspect moral (normatif), voire didactique : le conte s'adresse aux membres de la communauté et cherche à les édifier (et pas seulement les enfants). Il y a des contes qui relèvent de la fonction étiologique: ils expliquent aux lecteurs des phénomènes particuliers (on retrouve aussi cette fonction dans le mythe), par exemple, d'où viennent les continents et les mers.

Le conte a donc une grande variété de fonctions?
Réaction 22


Outre la fonction didactique et étiologique, selon certains commentateurs, les contes auraient une fonction initiatique : initiation de l'enfant au monde (cette théorie ne fait pas l'unanimité). Mais ces fonctions ne prennent jamais le pas sur la fonction ludique : on écrit et on dit un conte pour divertir, pour amuser. Les personnages pittoresques ou grotesques, les lieux imaginaires ou idéalisés, les épreuves du héros, tout dans le conte vise à permettre au lecteur ou à l'auditeur de s'évader du quotidien banal (c'est pourquoi on a souvent parlé de la magie du conte).

Le conte est associé aux loisirs d'une société (en général traditionnelle): c'est un divertissement. Le rôle social du conte, c'est de cimenter la communauté. Dans la plupart des sociétés, le conte est une activité sociale: on organise des veillées de contes, des compétitions de conteurs devant un public, etc. Le conte populaire est d'abord un récit oral avant de devenir littérature. Donnez quelques recueils de contes qui vous sont connus?
Réaction 23


Parmi les recueils de contes récents qui peuvent vous servir de sources d'inspiration, mentionnons: Marcel Aymé (1902-1967), Contes du chat perché. Jacques Prévert (1903-1977), Contes pour enfants pas sages. Jacques Ferron (1921-1985, écrivain québécois), Contes du pays incertain. Italo Calvino, Cosmicomics (1965). Pourquoi est-il intéressant de faire ses premiers pas en littérature en écrivant un conte?
Réaction 24


Dans la mesure où votre observation des moeurs actuelles et des caractères n'est pas encore du calibre de celle d'un romancier réaliste, il semble prudent de vous essayer d'abord à la production de contes, où les personnages sont simplifiés, les situations et le langage aussi, et la liberté totale. Ceci dit, ne vous croyez pas obligés de parodier les contes de Perrault : pas de princesse, roi et reine, etc. Innovez dans la direction de Calvino ou de Ferron (à moins que votre domaine ne concerne les enfants comme public cible). Exemple.
Un des Blues du Petit Chaperon rouge.
De l'autobus qu'elle avait pris à la Porte Champerret, le Petit Chaperon regardait défiler les vitrines de magasins. Un cahot lui fit perdre l'équilibre. Tentant de se rattraper, elle écrasa les pattes d'un loup maigre au cou de chien pelé, qui se dissimulait sous un long pardessus et sous un feutre mou curieusement galonné.
--- Attention, petite! Tu m'écrabouilles les arpions...
--- Pardon, Messire, je l'ai pas fait en exeprès.
--- Bon. Et où te rends-tu maintenant, ma belle petite fille?
--- Je vais au 39a bis, cour de Rome, appartement 15 (sonner deux fois), pour embrasser Mère-grand et lui porter des rillettes. C'est mère qui les lui a faites!
--- Mmm! Très bon, excellent tout ça. Oh! Déjà mon arrêt. À plus tard, Chapon rouge!
--- Salut! (Vieux dingue! in petto)
Pendant que le loup s'organisait comme chacun sait, le Petit Chaperon ne put s'empêcher d'aller faire un tour aux Galeries Lafayette. Quand, bourrelée de remords, elle courut chez sa mamie, elle fut très surprise de la trouver vivante. Ayant pris des cours d'auto-défense, celle-ci avait maîtrisé le loup, qui gisait dans la cuisine. Alors la mignonne s'approcha de lui et, sans crier gare, le mordit à l'échancrure. «Hé, bourrique de loup, t'aurais
pas perdu quelque chose?» Le sang gicla sur son chaperon, le rougit. Des gouttes glissèrent sur les jolies petites tresses blondes, coquelicots parmi les blés.
_____
Cette variante aux Exercices de style de Queneau touche un peu à tout mais surtout à l'intertexte. On y retrouve les personnages du conte de Perrault, revus et corrigés par Zazie et Boris Vian.
Le loup ravisseur a pris la place du jeune homme ravissant. Chaperon rouge est son voisin et devient le héros. Le sang gicle sans se poser de question. (Collaboration de Josée Migraine.)


Quelques procédés, les plus typiques, du conte?
Réaction 25


Procédés généraux et globaux : héroïsation, admiration, piédestalisation, omniscience, optimisation, sacralisation, superstition, surévaluation, convenance littéraire, convention sociale, récit objectif, ancrage allocentrique, événement déterminant, absolutisme (valeurs immuables), optimisme, personnage typé, polyvalence (certains personnages assument plusieurs rôles actanciels), humour, burlesque, rocambolesque, truculent, charme, pudeur, fantaisie, insolite, invraisemblance, irréel, fantastique, féerie, chimérat (l'universalité passe pour véridique), pathétique.

Procédés généraux plus localisés : désamorçage du caractère menaçant que pourrait avoir le drame, illustration par des dessins (bande dessinée), aventure, quête (du graal, un trésor spirituel), chance, récompense, miracle, objet surréel,...

Les actants. mandataire, mandateur,-trice, héros, héroïne, super-héros, adjuvant, adversaire, opposant,-e, vilain, -e, super-vilain,-e, intermédiaire, victime, obtenteur souhaité,-trice-e, bénéficiaire, prince, princesse.

Figures de style. Exclamation, anaphore, comparaison figurative, métaphore, métonymie, dicton, aphorisme, maxime, énantiose, énumération non systématique, réduplication, leitmotiv, refrain 2, hyperbole, intersubjection, prosopopée, enclave, épiphrase, épiphonème terminatif, personnification 1, sens symbolique, souhait, ton contraint.

Dans la fenêtre suivante, donnez un aperçu du conte que vous auriez pu écrire, si votre public avait été bon enfant.
Réaction 26


Même parodique et revu au goût du jour, le conte sera avantageusement remplacé par la nouvelle, genre narratif court et très moderne, sous diverses formes.

La nouvelle.

Loin d'en être un avatar récent, la nouvelle a contribué à la genèse du roman. En Europe comme en Asie, elle est à l'origine de divers types de romans, notamment les romans picaresques et les romans-fleuves. En Chine : les xiaoshuo et les huaben peu à peu s'additionnent, s'agglomèrent pour former une matière romanesque (cela donne : Histoire officieuse des lettrés, le Songe dans le gynécée, le Singe pèlerin, le Bandit des marais). De même, la nouvelle va produire en Europe divers types de romans par agglutination. Sur des modèles espagnols, ce sera le Diable boiteux, ou Gil Blas : des romans à tiroirs, où des nouvelles s'emboîtent les unes dans les autres.

Sera-t-il intéressant pour vous, en tant que futur romancier, de glisser de courts récits dans un ensemble plus étendu?
Réaction 27


Le plan de l'oeuvre en train n'est-il pas une suite d'épisodes, qui correspondent aux différents arguments, triés sur visée et degré d'accord avec l'opinion? Avant de sceller le contenu dramatique de chaque épisode, il faudrait songer à les emboîter. Si aucune intrigue cohérente ne se présente à l'esprit, on pourra toujours en faire des récits au deuxième degré et les mettre dans la bouche d'un de ses personnages (celui qui représente l'antagoniste dont c'est la visée).

Longtemps après la vogue en Europe du picaresque, les romanciers continuent à insérer dans leurs oeuvres des épisodes, nouvelles authentiques mais étrangères au dessein général : dans Jacques le fataliste, c'est l'affaire de Mme La Pommeraye. Dans les Souvenirs du colonel Maumort, Martin du Gard a glissé les pages libertines d'une nouvelle : la Baignade.

Aujourd'hui, la nouvelle est devenue un genre important sur la scène internationale. Connaissez-vous des nouvelles étrangères? américaines peut-être?
Réaction 28




En anglais, la nouvelle (short story) est d'une grande diversité. Les thèmes sont innombrables, allant des analyses psychologiques de Schnitzler aux tall tales de O'Henry; le style peut aller du registre soutenu de Henry James (The Turn of the screw) à la familiarité de J.-D. Salinger (Nine stories); le narrateur peut participer à l'action, en être le simple témoin, comme dans les nouvelles enchâssées de Maupassant, ou encore y rester extérieur, comme fait Patricia Highsmith, dont les héros sont toujours des animaux, qui souffrent de la présence de l'homme et finissent par se défendre ou même se venger (le rat de Venise).

Est-ce la longueur seulement qui distingue la nouvelle du roman?
Réaction 29


Une longue nouvelle n'est pas un court roman. Ce qui les distingue est le nombre des éléments mis en oeuvre. La nouvelle limite le nombre des personnages, des événements, des données spatio-temporelles. Tous les fils du récit sont noués à un élément central, à un instant privilégié. Alors que le roman multiplie les épisodes dans le temps, la nouvelle les rassemble et les noue autour d'un moment unique. Dans les nouvelles de Chesterton et de Dürrenmatt, le passé est seulement évoqué sous la forme de flash backs. Il en était déjà ainsi dans la nouvelle française de l'âge classique et dans la novela espagnole.

Aujourd'hui, sous sa forme la plus dépouillée, la nouvelle se rapproche de ce que les Anglais dénomment la «short short-story», récit extrêmement bref, réduit au compte-rendu neutre et laconique d'une scène, dont la signification reste souvent ouverte.

Un texte aussi proche d'une image captée par la caméra, aussi peu démonstratif, n'est-il pas à l'opposé de votre propos?
Dans Marcovaldo, Calvino raconte la mésaventure d'un ouvrier de Turin qui, par un jour d'épais brouillard, ne descend pas à son arrêt de train habituel, se perd, aboutit sur la piste d'un aéroport... Entraîné par les passagers, il se retrouve, éberlué, dans un boeing, qui s'envole vers Singapour. L'histoire s'arrête là-dessus. Calvino ne continue pas parce qu'il ________
1 considère que le dénouement va de soi. Marcovaldo sera découvert et ramené à Turin.
2 veut seulement faire rire aux dépens d'un héros ridicule.
3 décrit les espoirs et les déceptions d'un homme ordinaire.
4 ne considère pas que l'intrigue est l'essentiel.
Réaction 30


Ce serait sans doute le cas si le propos était de faire une démonstration et non d'explorer un dilemme avec la participation du lecteur et de manière ouverte, sincère, dépourvue d'opinion préconçue. Les épisodes qui se donnent pour objectifs vont jouer le rôle de preuves. L'argument reste implicite... Mais cet épisode est façonné, de toute manière. Le texte court organise ses matériaux de façon spécifique. Les éléments narratifs essentiels sont mis face à face, opposés les uns aux autres en couples, suivant des pôles qui organisent le récit. Le signe le plus évident de cette tension est le renversement narratif : à la fin du texte, la situation est le plus souvent inverse de ce qu'elle était au début. Non seulement la nouvelle nous mène d'un état très fortement caractérisé à son contraire mais le texte entier est structuré par la mise en place de couples. Ces couples opposent terme à terme des éléments thématiques, des personnages fortement contrastés, des mondes sociaux (Boule de suif et les bourgeois par exemple).

Tout se passe comme si le texte court, pour être un genre autonome, devait établir une structure interne particulièrement forte et fermée. Cette particularité n'est-elle pas, justement, ce qui convient à la métamorphose littéraire d'une dissertation?
Réaction 31


Celle-ci oppose des idéologies, en effet, et leurs arguments ou des réfutations. Avec la nouvelle, ils peuvent se traduire en faits, en actes, en paroles prononcées... Faut-il pour cela tenir compte de l'univers conventionnel d'un public particulier? Le vôtre?
Réaction 32


Oui. Naturellement. Mais on peut lui donner un peu plus d'extension. Considérer par exemple les gens qui lisent les journaux. La nouvelle moderne est née avec la grande presse, et les nouvelles étaient, au XIXe siècle et au début du XXe siècle, écrites pour un journal. Ce fait a des conséquences énormes. Le journal impose une longueur, un lectorat et partant une thématique au texte.

En élargissant son public jusqu'à inclure tous ceux qui regardent les nouvelles à la télé, ne va-t-on pas se précipiter tête baissée dans la banalité du quotidien, au vécu élémentaire de l'homme de la rue? On sait que les décideurs dans les stations de grande écoute ont reçu le mot d'ordre de retenir surtout les projets «hard», avec de l'action, du sexe et du sang. Ne va-t-on pas devoir brimer son imagination?
Réaction 33


La diversité des nouvelles récentes imposerait au contraire l'exotisme. On se distingue en épatant le bourgeois. Il n'est pas nécessaire d'établir une identité entre le lectorat et les personnages mis en scène. Maupassant par exemple écrit sur des Normands, et ce sont principalement des Parisiens qui le lisent. Le thème de nombreuses nouvelles est l'étranger et cet étranger est souvent reculé dans le passé (exotisme historique). La distance qui sépare le lecteur du sujet traité n'est pas atténuée par le texte, elle est au contraire cultivée, comme dans le grand reportage. (Ainsi la nouvelle se rapproche-t-elle des nouvelles, par un caractère de nouveauté!)

Mais les antagonistes ne seront-ils pas mieux décrits, et accompagnés dans toutes leurs démarches, au long d'un roman? L'avantage du roman n'est-il pas d'avoir plusieurs héros à la fois?
Réaction 34


Dans un roman, aussi bizarres que soient les héros, nous allons acquérir avec eux une familiarité qui nous les fera comprendre dans leur milieu et leur diversité. Le roman est essentiellement polyphonique et accorde à chaque personnage une existence à part. On s'intéresse à la diversité des vies. La nouvelle peut mieux se limiter à l'affrontement des visées et conduire plus droit au but fixé. Par exemple, les débuts in medias res sont courants. Cela impose une vision du monde. L'aspect étrange est accentué jusqu'à la bizarrerie. Cela aiguise les intentions et les effets. De là le grand nombre des nouvelles fantastiques.

Le fantastique est une représentation de l'étrange aux frontières même du monde normal; la nouvelle, dans une présentation très concrète, très réaliste, va peu à peu rendre bizarre le spectacle habituel du monde. Elle fait vaciller les certitudes. Elle est particulièrement apte à ce rôle : elle donne au spectateur un regard renouvelé, regard qui ne crée pas de familiarité.

Comment ceci se concilie-t-il avec l'exigence de réalisme? Car la nouvelle n'est pas le conte. Le merveilleux est exclu.
La transformation d'un visiteur en vampire relève ________.
1 du merveilleux
2 du fantastique
3 du conte
4 de la légende
Un mort, réveillé par un mage, accuse sa femme de l'avoir empoisonné. Or, la nuit suivante, comme les Euménides me guettaient, assure-t-il, le gardien s'est avancé à ma place. «On lui coupa successivement d'abord le nez, puis les oreilles; amputation qu'il n'a subie qu'à mon défaut.» Apulée, dans l'âne d'or (livre II), poursuit: aussi ont-elles «imaginé un raccord pour déguiser leur larcin. Avec de la cire, elles lui ont façonné une paire d'oreilles.....et lui ont adapté de même un nez tout pareil au sien.» Mais le gardien assiste au procès, mêlé à la foule, et il réagit. «Tout étourdi d'une telle découverte, et voulant m'assurer du fait, je me pince le nez; mon nez s'enlève: je tâte me oreilles, elles suivent la main. En un clin d'oeil, je vous tous les yeux dirigés, tous les doigts braqués sur ma personne; le rire allait éclater. Une sueur froide me saisit». Ce qui caractérise le roman antique comme genre littéraire est ______.
1 l'intrigue
2 le merveilleux
3 les personnages
4 la forme
Réaction 35


Le souci de réalisme est en effet un trait constant à travers toute l'histoire de la nouvelle, en Europe comme ailleurs. L'attention aux circonstances du récit, la volonté de parler de thèmes et de personnes qui ne soient pas nobles est déjà ce qui distingue la nouvelle des genres médiévaux qu'elle continue, à son apparition en Europe. Le Décaméron, les Canterbury Tales, les Cent Nouvelles nouvelles, l'Heptaméron, les Novelas ejemplares, comme tous les recueils qui les imitent et les pillent, diffèrent des exempla du Moyen Age par la place faite aux realia. Si le fantastique passe volontiers par la nouvelle, c'est qu'elle lui permet d'abord de s'appuyer sur le réalisme d'un cadre très concret, que le texte va rendre peu à peu étrange. C'est cette tendance constante vers le réalisme qui explique l'immense vogue qu'a connue la nouvelle dans tous les pays quand se sont répandus réalisme puis naturalisme.

Les nouvelles de la Renaissance sont contées oralement avant d'être écrites. En quoi diffèrent-elles des contes?
Réaction 36


Par le sujet, vraisemblable au départ, et par son traitement, par la justesse et la concision du trait, la force de l'impression immédiate.

L'esprit de la nouvelle, sa fonction varie selon l'histoire, la religion, le génie des créateurs. La nouvelle selon Maupassant, Gogol, Tchékov, Tourgueniev, certains écrivains américains, allemands ou italiens de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle est l'expression d'un individu. Elle a pour objet la résolution d'une crise, la mise en mots d'une aventure ponctuelle, le compte rendu d'un fait, d'un rêve, d'un acte bref. Les héros de Boccace étaient présentés ironiquement, au contraire. Les Japonais, eux, ont une nouvelle de type clérical: le konjaru monogatari et les jataka.

Quel sera l'intérêt aujourd'hui, pour nous, de la nouvelle?
Réaction 37


Elle convient au monde contemporain, où les individus vivent l'impossibilité de nouer des liens innombrables et sont voués à une connaissance parcellaire. Elle tire le poétique de l'anecdotique, du fugitif, du contingent. Elle assure une promotion de ce qui est réputé conjecturel, futile ou accessoire. Elle est une histoire intériorisée de la quotidienneté.

La nouvelle "post-moderniste".

La nouvelle rompt avec la narrativité. Le genre s'auto-détruit. Le narré s'efface au profit du texte, c'est-à-dire de l'ensemble des éléments qui concourent à enchâsser l'histoire, à l'embellir, à l'enrichir de réflexions morales ou philosophiques, de tout ce qui, intégrant et dépassant la narration primitive, lui confère une dimension irréductible aux simples données de l'intrigue. Ce sont les suggestions pittoresques, les portraits truculents de personnages hors du commun, les détails réalistes propres à révéler un paysage ou une ambiance.

Une telle liberté ne ramène-t-elle pas le narrateur au point de départ des genres, avant leur spécification historique?
Réaction 38


Le narrateur est redevenu le conteur traditionnel expert en digressions, en aphorismes, en considérations psychologiques, celui qu'on écoute moins pour ce qu'il doit raconter que pour sa personne et les éclairs de son intelligence, un prestidigitateur qui dissimule la relative indigence de l'invention sous les saillies et un sens aigu de la performance verbale. Ex. : Michel Tournier, Jean Ray, Marcel Schneider. Le conteur n'a rien à raconter et se sert de l'alibi d'une histoire pour jouer avec les mots et avec la peur (comme dans le récit fantastique), ou bien il substitue à l'histoire une méditation sur la condition humaine.

Peut-on interpréter à sa façon, un peu comme un rêve qu'on se ferait raconter, le sujet d'une nouvelle? La liberté de la composition se double-t-elle d'une liberté de lecture?
Réaction 39


Il y a des nouvelles métaphoriques. Ex. : Paul Gadenne, «Baleine». L'animal symbolise la corruption et la mort de l'Occident. On passe de l'anecdote au mythe. Cf. Sartre, le Mur, Ionesco, la Photo du colonel : les nouvelles sont l'expression détournée d'une morale et d'une métaphysique.

Et l'alittérature a-t-elle atteint aussi la nouvelle? Y a-t-il eu des anti-nouvelles? Le signifiant prend-il alors le pas sur le signifié?
Réaction 40


Oui, comme on devait s'y attendre... Par exemple, Beckett (Nouvelles et textes pour rien), Ricardou (Révolutions minuscules), Pinget, Robbe-Grillet, Sarraute (Tropismes). Refus de l'histoire et volonté d'accorder la primauté au phénomène verbal. La mue subie par le roman se manifeste aussi dans la nouvelle.

Y a-t-il un lien entre la nouvelle et le poème en prose, une nouvelle-poème?
Réaction 41


Oui. Le texte cherche alors à capter la perception fugitive d'états d'âme ou l'écoulement des heures. Par exemple, Jean-Loup Trassard (L'Ancolie, Paroles de laine); Jude Stéfan (la Crevaison, les États du corps). Le lecteur ne doit plus suivre le processus d'une narration, mais entrer dans un monde d'images et de fantasmes. On parle même en anglais de lyrical short story. Cette tentative se rapproche davantage du poème en prose que du roman.

Qu'advient-il de la trame narrative? Le temps conserve-t-il sa durée?
Réaction 42


Dans la nouvelle-instant, la trame narrative n'existe plus qu'en raccourci (Ex. : Chateaureynaud, Un épisode obscur). Ou bien l'événement décisif est présenté d'emblée, et la nouvelle suit l'itinéraire qui mène au dénouement anticipé (Ex. : Corinna Bille, la Fraise noire). Ou encore la nouvelle explore les zones sombres où prennent corps les sentiments (ex. : les nouvelles d'Arland s'attachent plus à l'analyse d'une crise affective qu'à ses conséquences). On voit aussi la relation des faits perdre de son intérêt au profit de leurs incidences.

Le dépouillement va plus loin en réduisant l'instant unique à celui d'un personnage unique. C'est la nouvelle monodique (dans les années 1970 et 1980). Il n'y a ni début ni fin, ni péripéties ni rebondissements. Ex.: Annie Saumont, Si on les tuait?; Geneviève Serreau; Claude Pujade-Renaud. Le recueil les Enfants des autres. Bien entendu, chaque auteur délimite son espace propre. Les nouvelles d'Annie Saumont et de Geneviève Serreau sont dépourvues de toute chronologie, sans la moindre armature narrative, plus éprises d'illogismes que de clarté. Leurs personnages sont des marginaux. Le narratexte est tout.

Ces excès de théorie ou de libertés n'ont-ils pas écarté le public lecteur?
Réaction 43


En Amérique du Nord la nouvelle est aujourd'hui un genre très prisé. On la trouve dans les magazines à grand tirage comme le New-Yorker ou Play-boy. Elle florit au Québec dans des revues uniquement réservées à ce genre (XYZ). En Europe au contraire elle n'occupe qu'une place de second ordre. Elle prolifère dans la presse féminine ou dans les concours pour amateurs. En France, Paul Morand avait créé des 1930 aux éditions Gallimard une collection, mais les éditeurs publient de préférence des recueils de romanciers déjà connus du public. Les Anglo-saxons sont plus friands consommateurs, que la nouvelle soit liée à un support spécifique : la magazine story américaine, ou que sa composition soit enseignée en université dans les cours de «Creative Writing». Les Japonais, eux, la considèrent comme un genre qui leur est consubstantiel, un équivalent prosaïque du haï-ku qui privilégie l'instantané, le fragmentaire, la recherche de la sensation, sur le discursif et le construit. L'Amérique latine est un foyer très actif. Les Français boudent leurs compatriotes mais lisent Somerset Maugham, Moravia, Singer, Highsmith et Borges.

Qu'attendez-vous pour vous essayer à un genre aussi prometteur? Mais si vous préférez suivre la philogénèse, le déroulement historique, passez par dessus le paragraphe suivant et allez au roman classique.

Écrire une nouvelle.

Peut-on vous conseiller en matière d'écriture pour un texte «post-moderne»? Y a-t-il des recettes?
Réaction 44


Il n'y en a pas par définition mais certaines formes seront plus fructueuses que d'autres. Comme ailleurs, la première et la seule grande règle est l'adéquation du fond et de la forme, la réalisation lisible de vos intentions (et des moyens de les découvrir que l'on peut attendre du lecteur). Or, ici, le lecteur est futé. Il démonte les ressorts textuels. Conscientiser la fabrication, faire allusion même à ce côté artificiel du texte, et à des modèles connus (par des perroquets, ou des paraplasmes) est un clin d'oeil sur la littérarité du texte qui plaira. En faire la surprise, sans avertissement, pour le pur délice, la légèreté.

Connaissez-vous l'autologie? Ou le performatif narratif? Ou le court-circuit?
Réaction 45


L'autologie consiste à reprendre (sans le dire, mais consciencieusement) certains éléments de ses propres textes.
Revient-on sous diverses formes à certains thèmes ou motifs qu'on a déjà exploités? C'est de l'autologie. Ex. «Sidonie s'assit à la terrasse de son café favori, en face de la gare du Nord. C'est là que, trois semaines auparavant, elle avait vu un autobus écraser un jeune homme pressé; c'est là que, pour la première fois, elle avait aperçu les deux complices, Étienne Marcel et X.» Queneau, le Chiendent, p.114.
Dès 1933, le contenu diégétique des Exercices de style était installé dans l'oeuvre de Queneau.
L'objet du récit est-il le récit en cours? C'est du performatif narratif car on exécute sa narration en même temps qu'on en parle.
Ex. Donc je te raconte ce qui m'est arrivé dans l'autobus...
Autre ex. «Lorsque (l'indien) eut secoué les feuilles sèches dont il s'était couvert à la hâte, son air montra toute la gravité, la dignité de sa profession (de guerrier) et l'on pourrait ajouter toute la terreur qu'elle inspire.» Fenimore Cooper, la Prairie, chap. 18, p.273.
Feint-on de prendre l'un pour l'autre deux des paradigmes de son texte, le signifiant et le signifié, ou l'énonciation et l'énoncé? C'est le court-circuit.
Ex. Un jeune homme dont le chapeau s'ornait d'une tresse, tel le héros d'un exercice de style. Q.E.S., p.62. Autre ex. Au Moyen-Orient... Guère de paix. (Cette préciosité est supportable dans les titres.)


Personnages, action et plan seront sans doute conformes aux visées établies précédemment, mais axés peut-être sur quelque observation, genre faits divers, banal d'apparence, survenu comme par hasard. Le déroulement semble aussi dû au hasard quoiqu'il mène exactement au point visé. Il y a donc un naturel qui semble parfait grâce à un artifice poussé très loin.

Est-il bon que la fin se laisse aisément pressentir? Ou vaut-il mieux laisser constamment planer un doute sur la suite probable?
Réaction 46


Satisfaire les souhaits d'heureuse conclusion est une qualité du conte (Ils vécurent heureux et ils eurent beaucoup d'enfants). Hétérotélie, donc (la fin n'est pas celle qu'on aurait pu prévoir).

Ceci n'empêche pas l'encadrement par motifs, qui consiste à débuter et finir sur des expressions identiques (Queneau, le Chiendent, «une silhouette se profila»). La différence de sens de l'expression dans ces deux positions opposées crée une diaphore; un peu comme dans la Modification de M. Butor.

Commencer par le début de l'histoire, par la fin, par le milieu?
Réaction 47


Toujours débuter in medias res quitte à revenir en arrière avec un flash-back. Les scènes sont des états de conscience, des souvenirs ou encore des appréhensions, des expectatives que l'événement modifiera jusqu'à les inverser : l'ordre est donc ouvertement déchronologique (ce qui facilite la séquence argumentative sous-jacente). Uchronie même, s'il le faut : mélange de réel vécu, imaginé, dépeint ou effectif, avec jeu de miroir entre les personnages, par tranches de vie, surgissant dans les esprits, ensuite déçues ou dépassées par l'événement (mais laisser les facilités du meurtre au polar).
Wolf fit un brin de toilette avant de revenir dans la salle.....se lava les mains, laissa pousser sa moustache, constata que ça ne lui allait pas, la coupa... (B. Vian, l'Herbe rouge, p.23)
1 Bévue.
2 Uchronie.
3 Déchronologie.
4 Anachronisme.
Réaction 48


Importance, dans la nouvelle, des moments, pas l'instant fatal, le moment plein : celui qui comprend en lui tout un passé et tout un avenir, ou qui peut communiquer toute sa profondeur. Préférence, par conséquent, pour l'acte manqué plutôt que pour le coup de théâtre, subtilité des relais narratifs quand il s'agit de saisir la qualité de l'atmosphère, et trivialité des catalyses (épisode de transition).

Mais qu'appelle-t-on un acte manqué?
Réaction 49
Agit-on de manière incompréhensible mais révélatrice d'une émotion profonde? C'est l'ACTE MANQUÉ (angl. acting out). Ex. dans Salinger, Down at the dinghi: Lionel jette à l'eau les lunettes de plongée puis son cadeau. Défi? On avait injurié son père. Plus tard, il s'adoucira : sa mère s'est montrée capable de le comprendre.


Et qu'est-ce que le relai narratif?
Réaction 50
Le récit d'une action est-il remplacé par celui d'une autre qui y a quelque rapport? C'est le RELAI NARRATIF ou substitution d'action. Ex. Une violente dispute s'amorça. Sur le trottoir, il y avait deux matous au miaulement rauque, qui s'étudiaient, le poil hérissé. (S.D.)


Enfin, suggérer plutôt que nommer. C'est ce que Barbey d'Aurevilly appelle l'esthétique du soupirail. (Laisser entrevoir plutôt que montrer peut décupler l'effet. Ainsi Barbey imagine de montrer les damnés au feu de l'Enfer par un soupirail.)

Une fois tout en place, revoir la texture pour que rien n'ait l'air d'échapper au «texte».

Mais pourquoi supposons-nous que vous ne soyez attiré(e) que par la nouvelle avant-gardiste? Le roman classique n'est-il pas d'une facture plus connue, et plus facile d'accès?

Le roman classique.

Au XVIIe siècle, le roman classique français cherche à se définir par opposition au roman héroïque et baroque, dont il juge les trouvailles naïves. Le roman héroïque met en scène les hauts faits de personnages illustres, le roman classique raconte les actions particulières de personnes privées ou considérées dans un état privé. L'intrigue du premier est compliquée, de nombreux acteurs y participent, le second façonne une intrigue simple entre quatre ou cinq personnages. Le discours du premier se caractérise par son style ampoulé; celui du second, par son élégance, son atticisme, sa tendance à la litote. Enfin le roman héroïque est long; le roman classique, court.

À quelle évolution de la société serait due une telle transformation?
Réaction 51


C'est principalement la paix, et l'ascension de la bourgeoisie, qui conditionnent les changements subis par le genre romanesque au XVIIe siècle. La paix rend l'héroïsme moins intéressant. À partir de 1620-1630 se constitue un public nouveau, celui de la bourgeoisie aisée. L'on n'écrit désormais plus pour l'aristocrate seulement, on s'adresse à l'«honnête homme». La vie quotidienne n'est plus objet de caricature, d'ironie affectée et outrée, on la décrit pour elle-même, on tente de la restaurer dans son cadre; les personnages de catégories sociales modestes entrent dans le roman (ce qui annonce Lesage, Prévost, Marivaux). Le roman devient l'histoire d'une destinée particulière engagée dans les vicissitudes de l'existence. On est à la fois sur la voie du roman psychologique et sur celle du roman de moeurs.

N'y a-t-il pas eu une influence du roman anglais, au XVIIIe siècle?
Réaction 52


Le roman au siècle des Lumières est sous l'influence des romanciers anglais (Richardson, Fielding et Smolett, introduits en France en 1740). Il cherche à peindre l'homme moderne. Par des histoires imaginaires mais vraisemblables, il doit mettre à la disposition du lecteur une expérience, une leçon qui porte sur la vie réelle. Il doit aider le lecteur à définir ses ambitions dans un monde où les barrières sociales et religieuses ont perdu de leur rigidité et où les croyances sont remises en cause.

Faire du roman classique.

Choisir une variété, le noble, la bergerie baroque, le comique, le psychologique, l'historique, le roman d'aventure (picaresque). Le comique se tourne vers le concret mais sans s'y abaisser : pour en rire. On reste dans les valeurs universelles. Le sublime n'est pas loin, explicite ou implicite. On ne s'en moque point (à moins qu'il ne soit imité et maladroit), mais on s'en sert pour garder ses distances avec le trivial (le quotidien, le banal, le non noble).

La raison permet-elle de ramener à des idées et des jugements simples la façon de présenter les situations et les comportements?
Réaction 53


Oui. Le concept, en permettant d'abstraire, garantit l'élévation (élévation morale mais sans doute aussi sociale). La subtilité ne craindra pas d'aller jusqu'à la préciosité. On traitera des sentiments, mais en les analysant. Les noms propres seront effacés, remplacés par des astéronymes. Les héros ont une conscience, toujours semblable (le cogito), leur caractère est stable, comme dans le conte (monolithisme). De même, le comique est seulement un comique de situation, qui ne craint pas l'arlequinade, parfois bouffonne. Les intrigues seront dédoublées chez des personnages secondaires, avec des sous-intrigues ou des rebondissements. On fait de l'éthopée (portrait moral). On prend les choses de haut avec un moralisme qui est pessimiste, qui dénonce les moindres faiblesses du moi au regard de l'idéal.

Les raisons et les argumentations peuvent-elles s'exprimer dans le texte? Les voit-on prendre le pas sur les descriptions et les narrations?
Réaction 54


Oui. Les personnages aiment tenir de véritables discours, empreints de raisonnements en raccourcis (enthymème), même dans les dialogues, mais on aime aussi les monologues. L'affectivité sera le grand sujet mais elle donnera surtout l'occasion de faire preuve de discernement (psycho-récit).

Ceci se reflète dans les figures de style: la périphrase définitoire, les tropes (métaphore, métonymie) sans grande originalité, les euphémismes qui respectent les bienséances, la litote où s'étale qu'on a de l'esprit (celui du beau monde). On fera des oppositions faciles, systématiques, dans un univers moral en noir et blanc (énantiose, oxymore). La sentence, la maxime seront sans appel. Les sentiments, comme les vices et les vertus, auront chacun leur nom. On peut terminer par un épiphonème. Même les objets doivent avoir quelque chose de mort, d'intemporel. Ils seront réduits à leur fonction dans le discours, ils doivent être des motifs.

Le niveau de langue sera soigné, voire élégant (atticisme), et les personnages comiques feront des fautes évidentes, qui se ressentent de leurs «humbles» origines.

Mais si le rappel des formes classiques ne vous est pas inutile, sans doute préférez-vous ne pas vous arrêter à un monde et un milieu aussi conventionnels.

Le roman romantique.

Le romantisme, ce sont d'abord des personnages. Connaissez-vous des personnages romantiques?
Réaction 55


La fougueuse Carmen, le docte Faust, Gavroche nez en l'air, l'impétueux Achille, Shylock aux doigts crochus, le beau Brummel, Ève dans sa beauté originelle, le géant Goliath, Michel-Ange faisant resplendir les formes, le lunaire Pierrot, le moine Raspoutine, tout échevelé. Ils ont quelque chose de personnel et de caricatural.

Y a-t-il des thèmes ou des sujets plus nettement romantiques?
Réaction 56


Surtout la reconstitution historique : Walter Scott (Waverley, Ivanhoe), Vigny (Cinq-Mars), Hugo (Notre-Dame de Paris), Mérimée (la Chronique de Charles IX), Balzac (les Chouans), Manzoni (les Fiancés). Il se combine avec le roman d'aventures : Fenimore Cooper (l'Espion, le Dernier des Mohicans) et avec le roman de cape et d'épée : A. Dumas père (les Trois Mousquetaires). À cela s'ajoute le roman humanitaire : Hugo (les Misérables), E.Sue (les Mystères de Paris). Deux traits nouveaux caractérisent cette production : la longueur (roman-fleuve) et la captation de l'attention (roman de séduction). On ne recule ni devant l'évocation de scènes bachiques, ni devant le récit d'horreur, qui saisit le lecteur de crainte, d'effroi, d'épouvante.

Ces thèmes ne sont pas propres au romantisme. Plus exclusif est le psycho-récit, où le narrateur relate ses souvenirs, ses pensées, des événements qui lui sont personnels : Chateaubriand (René), Sénancour (Obermann), Benjamin Constant (Adolphe), Musset (la Confession d'un Enfant du siècle), G. Sand (Lélia), Sainte-Beuve (Volupté). On retrouve dans le psycho-récit romantique une analyse des sentiments qui existait dans le roman classique, mais elle se tourne vers le sujet. Les idées sont descendues du ciel des fixes pour devenir des concepts fabriqués individuellement.

Ne caractérise-t-on pas le mouvement romantique par son ouverture aux sentiments? Par le rejet du classicisme au nom de la diversité exotique ou de l'inspiration?
Réaction 57


Le module sur la poésie demandera de préciser davantage mais disons ici que le roman est le grand genre romantique parce qu'il permet de réunir tout ce qui fait sentir l'état d'esprit des personnages, même secondaires, à celui de l'auteur (notamment par l'intermédiaire d'un personnage-narrateur).

Cette ouverture à l'âme de chaque être trouve son origine en Allemagne (Kant, Critique de la raison pure). La valorisation de la «raison pratique» (du sentiment personnel) libère cet amour de soi qui était censuré à l'âge classique. Le subjectivisme mène à des surévaluations. Ce sont des transports d'admiration devant les beautés de la nature, des égarements passionnels, de l'ivresse allant jusqu'à la psychose. La modélisation alternative se jette dans le merveilleux, le grotesque ou le sublime. Le personnage intériorisé se livre à son cinéma intime et fait du rêve en couleur. La sentimentalisation des épanchements verse dans les regrets, la nostalgie, la mélancolie. Mais l'exaltation succède à l'amertume. Il y a ambivalence, alliance de sentiments contradictoires, hétérogènes, variation sur sentiments : intimisme ou exotisme, intériorisation mais véhémence, effusion ou truculence! Contrastes.

N'y a-t-il pas une grande part de "littéraire" dans tout cela? Quelle image le romantique se fait-il de soi?
Réaction 58


Hugo au collège consigne dans ses notes d'adolescent ce cri du coeur : "Je veux être Chateaubriand ou rien". Il devient le modèle de toute une jeunesse qui veut devenir Hugo ou rien. L'esthétisme tourne à l'égotisme et se manifeste même dans l'élégance vestimentaire (Brummel, Baudelaire). La contemplation du beau fait perdre la raison (syndrome de Stendhal). On veut aussi captiver le lecteur, l'amener à une sorte d'euphorie, ou du moins l'inciter à se trouver des atomes crochus avec les déformations affectives des personnages.

Comment cela se traduit-il dans les oeuvres?
Réaction 59


Une simple hypothèse se mue en rêve prémonitoire, hallucination, mirage, fantasmagorie, délire onirique. On verse dans l'animisme, il y a des revenants, des apparitions, de l'angélophanie. Sans aller si loin, on cultive le drame, l'étrange, l'insolite, le pathétique.

Ce sont des extrémités. Les qualifications restent souvent conventionnelles. Le récit reste objectif : il contient des portraits, des sentences, il suit l'éthos, donne dans les valeurs essentielles. Après la révolution, il s'adonne à la popularisation, verse dans le passéisme ou favorise l'idylle. Il contient du monologue intérieur, propose des pages de journal intime, contient des mots d'auteur. Il met en place une vision par ou avec le personnage (focalisation).

Garde-t-on un niveau de langue volontiers élevé voire sublime?
Réaction 60


Par moment, à cause des habitudes ou de l'enthousiasme. Le style garde des moments de sublimité mais s'efforce aussi, souvent vers le simple, ou vers le familier et même le bas. On pratique sans vergogne le mélange des styles.

Les formes se libèrent. Le récit est volontiers trop circonstancié. Il donne même les expressions faciales. L'artifice romanesque se fait sentir par des mimèses, des analepses externes. Les objets ou les personnes s'identifient à des idées (identification). La vie matérielle est indiquée par des notations. L'intensité est accrue par des mots expressifs. On cherche à susciter une réaction affective à l'aide de termes mélioratifs, de gradation intensive, pour atteindre le climax avec, par exemple, un clou d'or. On utilise la ponctuation expressive.

Quand ferez-vous bien d'adopter pour votre sujet un style romantique?
Réaction 61




Les sujets très personnels voire trop idéalistes seront bien servis par un roman de type romantique. Quand on veut lutter pour la cause de groupes en situation, on se tournera plutôt vers le roman réaliste.

Le roman réaliste et le roman naturaliste.

Tous les romans ne devraient-ils pas faire preuve d'un minimum de réalisme? La forme romanesque ne permet-elle pas d'aborder tout sujet tant soit peu réel ou naturel?
Réaction 62


Oui, mais c'est prendre les mots réalisme et naturalisme au sens courant plutôt qu'au sens que leur donne l'histoire de la littérature française. Le roman, ayant rompu ses amarres, est fait un peu la synthèse des genres, et peut se servir des autres, lyriques ou pratiques, les intégrer. De ce point de vue, vous pourriez reprendre les travaux déjà réalisés et les agencer selon votre plan.

Mais il faut prendre ici ces deux termes au sens qui leur est propre. Ils visent le roman de la fin du XIXe siècle, autour de Balzac et de Zola. Décrire la société dans ses recoins les moins avoués et les plus passionnés, toute la société, et tout le malheur des êtres, surtout dans la vulgarité, pour contrer le discours bien-pensant d'une bourgeoisie qui avait assis son pouvoir sur la violence napoléonienne ou de la Restauration : telle fut la tentative de ces deux courants littéraires, et elle convenait à une époque bouleversée.
Que peut-on déduire de cette première phrase d'une nouvelle de Leconte de Lisle, Dianora (1847): "Le récit suivant appartient à un obscur chroniqueur des faits et gestes d'Antelminelli Castruccio, seigneur de Lucques."
1 Le narrateur entend créer un effet de réel.
2 La nouvelle est menée au présent.
3 L'auteur et le narrateur ne font qu'un.
4 Le narrateur manque d'imagination.
On lit, dans Balzac par exemple: "Ils avaient pris pour premier commis un jeune homme de vingt-deux ans, nommé Ferdinand du Tillet". Å quoi sert-il, dans les romans, de mettre des noms propres?
1 C'est un point auquel on peut rattacher ce qui sera dit du personnage.
2 Cela entretient l'illusion réaliste et cela augmente l'expressivité.
3 Cela dépeint le personnage.
4 C'est la façon la plus sûre de désigner un personnage souvent et brièvement.
Réaction 63


S'il y a un roman qui doive faire preuve de réalisme, c'est bien le policier.

Le polar.

Peut-on dire que le roman policier appartienne vraiment à la littérature?
Réaction 64


Tant qu'il ne s'agit que de piquer la curiosité par une énigme ou d'entraîner l'imagination dans des aventures qui vous coupent le souffle, le polar est le livre à deux sous qu'on abandonne sur le quai d'une gare. Il appartient à la paralittérature; à la littérature populaire, du moins.

Ainsi, le roman d'espionnage met en vedette des agents très spéciaux, souvent accompagnés de séductrices aussi habiles à tromper (appât, attrape, bluff). Quand ils sont agents doubles, on ne sait pour qui ils travaillent réellement. Ruse, fraude, infraction, aventures de plus en plus risquées. C'est un roman centré sur le héros qui travaille dans l'ombre, pour son pays ou pour lui-même, mafioso sordide ou de haut rang, pour qui la vie ne compte guère, pas plus la sienne que celle des autres. Savoir frapper le premier, tactiques mystérieuses, mystère de l'incognito, jouer l'Arlésienne, effraction, crime parfait, vol qualifié mystifiant toute une assemblée mondaine (Arsène Lupin), copie d'objet précieux, telles sont quelques-unes des manoeuvres aussi improbables que réussies auxquelles ils se livrent selon l'imagination d'un auteur-inventeur d'une intrigue plongée dans la pénombre.

Par le biais des situations, du cadre, de l'ordre des événements, du monolithisme de certains personnages, des tactiques prêtées aux gouvernements, le polar peut entrer dans la littérature engagée (c'est souvent le cas du néo-polar). À ce titre, et si votre public a le goût des émotions fortes, il pourrait convenir à votre projet.

Il a ses personnages typés : Al Capone. Sherlock Holmes, Arsène Lupin, Robin des bois, Abel (dans le néo-polar). Ceux-ci ont des ennemis à déjouer, des adversaires à dominer par une stratégie supérieure. Dans quel type de sujet le polar convient-il le plus?
Réaction 65


Dans les sujets qui réservent une grande part à la réflexion logique. Par exemple, dans le roman-problème, le mystère règne et le récit oriente progressivement le lecteur par des indices savamment contradictoires, des déductions, des hypothèses. Tout finit par trouver sa cause et doit recevoir une explication. Des détectives échangent leurs considérations, bâtissent des raisonnements qui parcourent les lieux logiques, suivent leur intuition originelle et leurs soupçons, font des inductions et des suppositions, échafaudent des syllogismes sur leurs prémisses ou tentent la désintrication des enthymèmes des témoins. Le modèle est la romancière anglaise Agatha Christie. Un personnage fétiche à la logique imperturbable, le détective belge Hercule Poirot, évolue dans une sorte de clair-obscur qui lui permet d'offrir à l'herméneutique du lecteur une maïeutique à facettes. Il y a un dévoilement progressif qui, vers la fin, éclate en reconnaissance (anagnorisis). La révélation de la clé de l'énigme provoque le dénouement.

Y a-t-il d'autres procédés utiles pour faire du polar?
Réaction 66


Les complices communiquent entre eux par signal, clin d'oeil, échange gestuel et autres indices de contact. Les suspects sont mis sur table d'écoute, leur courrier est épié (détournement de correspondance) : il passe au cabinet noir. Le faux-jeton se présente sous un faux nom, parlant une autre langue (apparence de langue étrangère), il doit provoquer une erreur sur la personne. Ne reculant devant aucun baiser de Judas, il tente d'arracher quelque aveu ou de violer des secrets. Il recopie ce qu'il va lire dans les calepins, les adresses, les rendez-vous, les possibles mots de passe, contre-mots, cryptogrammes dont il tentera de percer le code secret, de déchiffrer le chiffre. Il recueille tout objet suspect, dont il sera fait une expertise, qui sera défaite par une contre-expertise. Vérification et falsification s'enchaînent, au point de brouiller les cartes. On se livre vainement à la prospection mentale. On se réfugie dans le faux-fuyant.

Quand les inspecteurs ou les inspectrices prennent le dessus, que les victimes ont fait leur déposition, il y a incrimination et accusation. Il est alors procédé à des interrogatoires. Les interrogations orales sont consignées par écrit. Les accusations ne sont encore que présomptions et les coupables présumés sont des prévenus. Il va falloir des preuves, des pièces à conviction, et une démonstration pour leur faire porter le chapeau. Ils joueront l'ignorance feinte, prétendront que les faits sont controuvés, qu'ils sont victimes d'une cabale, ils invoqueront des prétextes, donneront des alibis, réclameront une contre-enquête, pendant laquelle ils se livreront à une déformation des faits plutôt que de passer aux aveux. Ayant perdu leurs derniers atouts, ils rumineront quelque vengeance mais seront abandonnés à leur turpitude. L'auteur fait facilement mentir ses personnages, il les fait disparaître (délétion), les traite comme des marionnettes (court-circuit du personnage). Il fait montre d'un esprit caustique, d'une ironie moqueuse ou d'une ironie complice.

La dramatisation est essentielle. Comment aborder le passage du plan à une intrigue dont le dévoilement doit demander du temps?
Réaction 67


Le roman policier ou d'espionnage subit facilement une réduction à l'action. Il débute par une exposition qui, au moyen d'un récit circonstancié, répond aux questions qu'un lecteur doit se poser (récit d'orientation). Très vite, les personnages sont mis en état d'alerte ce qui établit une atmosphère tendue. Le hasard amène un incident déclencheur auquel va se rattacher quelque épisode significatif (remorque).La croissance de l'action observe un échelonnement. Pas question de ne pas faire traîner en longueur les échéances (sustentation), pourvu qu'il y ait intensification dramatique ou du moins imbroglio. Le noeud est formé par une crise qui, à travers le traditionnel suspense, mène à un moment crucial auquel se produit un coup de théâtre. C'est le sommet de l'action (climax). On poursuit avec des péripéties qui apportent toujours une accélération progressive. L'effet de surprise est préféré à l'effet de réel et les descriptions sont brèves (diatyposes). L'humour est bien accueilli. Mentionnons la possibilité de flash back. Il peut se terminer par un épiphonème.

Quels procédés de style devrait-on favoriser?
Réaction 68


Il faut un rythme enlevé, une phrase vive, mais la vividité du texte n'ira pas dans le sens des petits-maîtres du romantisme, elle s'accompagne de sobriété et de transparence (tautégorie). Les figures sont limitées aux plus utiles : la singularisation, la métonymie subjective, la réduction aspectuelle, le passage à l'acte. Le style est simple voire familier et peut aller, quand il s'agit de faire parler les personnages, jusqu'au populaire voire au vulgaire (mot grossier, mot plat, mot de Cambronne). Le mot expressif ne recule pas devant l'outrance, surtout s'il permet de clouer le bec. La locution idiomatique est bienvenue, de même que les disances, le juron, l'injure. Mais ce n'est pas tout : il y a d'innombrables moyens de communiquer : l'expression faciale, l'expression corporelle, le langage factuel, le langage opératif, voire le calcul. Ajoutons, en pensant à San Antonio, la dénudation de cliché, le perroquet et le mot forgé.

L'intérêt du polar réside peut-être dans une sorte de parrhésie : on en dit plus qu'il n'est convenable d'en dire, de telle sorte que même le mystère qui plane souvent d'un bout à l'autre du récit ne fait qu'amplifier son horreur intentionnelle. L'univers du texte est cependant réel et certains polars ont des héros identifiables (roman à clé).

Faut-il épiloguer sur le crime? Y a-t-il des sujets qui le demandent?
Réaction 69


Le mélange de réalisme et d'épouvante rend bien compte de l'inévitable déchirure que doivent provoquer les crimes, individuels ou collectifs, dans l'opinion. Dans le roman noir, l'humour noir accompagne un drame qui tourne au mélodrame.

Le roman noir américain a suscité en France, alors que la source américaine commençait à se tarir, la naissance du "néo-polar" à la fin des années 70. Produit de l'esprit révolutionnaire et anarcho-gauchiste de mai 68 (contestation), roman de la révolte et de la dénonciation des inégalités sociales, du racisme, des "magouilles" politiques et des bavures policières, le néo- polar se moque que le crime soit élucidé et que justice soit faite. Le crime n'est plus nécessaire, le suspense naît tout entier de la réalité sociale. De nouveaux auteurs comme Manchette, Siniac, Jaouen, Delacorta, Alexandre Varoux et surtout Michel Lebrun bouleversent les règles du genre. L'histoire se modifie, change de décor, rôde autour des H.L.M., s'intéresse aux chômeurs, aux écologistes, prend pour héros des terroristes ou des C.R.S. et pour thème, par exemple, le passé du secrétaire général d'un grand parti de gauche.

Indifférent aux modèles et aux catégories, le néo-polar mêle roman psychologique et roman d'espionnage, chronique politique et chronique sociale.

Ses ingrédients favoris diffèrent parfois de ceux du polar anglais ou américain : agent provocateur anti-héros anticonformisme assurance attitude typique audace auto-ironie comparse confident contenance cynisme déguisement dénonciation dialogue dissimulation double vie effronterie émincence grise esprit d'analyse esprit d'indépendance esprit de suite excentricité du héros faire-valoir fausse naïveté focalisation hypocrisie idiome idiosyncrasie impassibilité imposture incrédulité insolence instrument du crime mandataire mandateur (-trice) marginalité masquage méprise obtenteur souhaité offre de service paravent quiproquo récit objectif reconnaissance rencontre muette résistance soliloque surnom épique victime vilain.

Mais le roman peut se renouveler davantage de l'intérieur.

Le nouveau roman.

Le nouveau roman joue sur la position du narrateur (omniscience, focalisation interne, externe, endophasie). Cette «dimension» nouvelle, qui n'est autre que le perlocutoire, est illimitée comme lui.
«La mouche est si bien organisée qu'elle a pu assidûment fréquenter l'homme depuis des millénaires, sans être mise à la porte, ni mise à travailler. Le tout sans se gêner et ne cherchant nullement, comme le chat à feindre d'être apprivoisée.» Michaux, Passages.
1 Bestiaire. On brosse un portrait de l'humanité en le transposant dans le monde animal.
2 Personnification. Un animal est doué d'une personnalité.
3 Transposition. On s'exprime avec les termes d'un autre domaine.
4 Focalisation. On voit les choses du point de vue de la mouche.
"Les Autrichiens retranchés dans les fermes, fortifiés dans les jardins. Des luttes dans les chambres, des combats dans les escaliers, des duels autour des puits, dans les écuries, sur les toits." (J. Clarette) Qui voit, dans la scène ainsi décrite? Un ________.
1 narrateur omniscient
2 narrateur objectif
3 personnage nommé
4 personnage anonyme
a) Comme j'allais sur mes dix ans et ne rêvais que sport, explorations, plaies et bosses, ma vieille tante obtint de m'emmener à la campagne. b) Aglaé --- Quand tu auras tes dix ans, je t'emmènerai à mon village, Robert. Tu pourras chasser la grenouille. c) Tante Aglagla part en vacances avec son neveu mézigue, dix ans, culottes courtes, canif en poche. Ces trois débuts de récit anecdotique se distinguent par ________.
1 le temps des verbes
2 l'actualisation (je, tu, il)
3 la focalisation
4 (1, 2 et 3)
Et Colin courait, courait, l'angle aigu de l'horizon, serré entre les maisons, se précipitait vers lui. (B. Vian, l'Écume des jours) Par quel procédé nous fait-on voir se déplacer autre chose que le personnage?
1 La caméra subjective.
2 Le zoom.
3 L'hypallage.
4 Le travelling.
Réaction 70


L'ingrédient favori du nouveau roman est l'analepse narrative et d'une façon générale le jeu sur la temporalité (in medias res, sous-intrigue, diversion, trou de mémoire, cogito, récit à tiroir, focalisation, déchronologie, mise en abyme, flash-back).

Dans le texte de Nathalie Sarraute, par exemple, de Duras ou de Jean-Pierre Faye, les personnages, parfois anonymes, désignés par des pronoms, baignent dans une certaine abstraction dont le mystère est destiné à toucher directement celui du rapport que le lecteur entretient avec lui-même.
Lequel de ces débuts de roman vous paraît le plus prometteur?
1 Je venais de finir à vingt-deux ans mes études à l'université de Gottingue.
2 Ma première démarche en arrivant à Saint-Joachim, a été de me chercher une chambre.
3 Rien en moi qui puisse la mettre sur ses gardes, éveiller tant soit peu sa défiance.
4 Elle savait que l'hiver était fini quand elle entendait le bruit de l'eau.
Réaction 71


Faire du nouveau roman consisterait d'abord à bien saisir la dimension perlocutoire du texte créatif. Le texte alors se mettra en résonnance avec l'univers d'un interlocuteur fictif mais représentatif, qui peut devenir le lecteur réel. Inutile d'essayer de le rejoindre dans toute sa diversité -- ce qui risque d'ailleurs de banaliser (comme il arrive dans l'alittérature). Lui donner plutôt cette voix intérieure qui nous conteste souvent ce que nous venons d'écrire. Cela recrée la dialectique fondamentale d'une écriture orientée vers une lecture autarcique.

Sur ces modèles, vous pouvez tenter ci-dessous quelques phrases de ce style.

Réaction 72


Voici un extrait du «récit autocritique» que J.-P. Faye intitule Analogues.
- au début d'un chant, nous ne pouvons pas savoir ce qui va suivre; mais en entendant le dernier son, nous comprenons tout ce qui a précédé -- Mais si le dernier son défaisait tout ce qui a précédé?
Seules quelques musiques hindoues admettaient quelquefois de s'achever sur une note qui n'était pas la tonique -- il est vrai que celle-là lui était apparentée étroitement, qu'elle lui était consonante.
Mais qu'arriverait-il si la fin défaisait le commencement? Si nous ne comprenions plus tout ce qui a précédé?
(Le Seuil, 1964, p.161)


Le prochain module initie à la poésie lyrique.

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