Module 19. Le Théâtre. 34 interactions. 19 QCM.

La tragédie.

La tragédie a connu son premier épanouissement dans la Grèce antique, au Ve siècle av. J.-C. La cité grecque était alors à une période capitale de son histoire: de nouvelles formes de pensée politique et sociale s'affirmaient et étaient en train de remplacer les vieux mythes sur lesquels s'était fondée jusqu'alors l'existence individuelle et collective. La tragédie s'est ainsi chargée de représenter le conflit entre les traditions religieuses et mythiques et les nouvelles conceptions du monde. Elle a repris les héros légendaires, mais leur rôle était devenu différent. Au lieu d'être magnifiés par une seule voix, ils ont reçu chacun une voix personnelle.

OEDIPE. --- (...) Et moi qui me félicitais de ne connaître pas mes parents!... Grâce à quoi j'épousai ma mère, hélas! hélas! TIRÉSIAS. --- Oedipe, fils de l'erreur et du péché! Repens-toi! Viens à Dieu qui t'attend! Ton crime te sera remis. OEDIPE. --- Crime imposé par Dieu, embusqué par Lui sur ma route. Dès avant que je fusse né, le piège était tendu pour que j'y dusse trébucher. (A.Gide, Oedipe, acte III) En quoi consiste le tragique dans le théâtre de Sophocle?
1 La vision religieuse que représente Tirésias est combattue par la pensée rationnelle d'Oedipe, qui veut agir en homme libre mais qui est châtié.
2 Non, Sophocle révoque en doute la religion de son temps. Il montre Oedipe écrasé par un Destin aveugle.
3 Sophocle explique le malheur de son héros par la providence. Les dieux éprouvent Oedipe afin de le convertir.
4 Ce qui est tragique est l'ignorance dans laquelle le plongent les dieux quant à ce qu'ils attendent de lui.


Représentaient-ils encore des modèles pour les auditeurs?
Réaction 1


Non. Ils sont devenu des personnes incarnant des « problèmes ». La tragédie a eu pour tâche de les montrer déchirés entre les valeurs traditionnelles et les nouvelles valeurs de la cité.

CRÉON. -- La loi est d'abord faite pour toi, Antigone. La loi est d'abord faite pour les filles de roi! ANTIGONE. -- Si j'avais été une servante en train de faire sa vaisselle, quand j'ai entendu lire l'édit, j'aurais essuyé l'eau grasse de mes bras et je serais sortie avec mon tablier pour aller enterrer mon frère. (Anouilh, Antigone) Résistant ouvertement au roi son oncle, elle _______.
1 ne se rend pas compte qu'il sera obligé de la faire exécuter
2 fait passer la piété et les devoirs funéraires avant tout
3 se complaît dans l'idée de la supériorité de sa liberté
4 récuse à la fois la soumission religieuse et la soumission politique


Ainsi, dans la tragédie, à la fois l'univers mythique et le monde de la cité se trouvaient remis en question, devenaient problématiques. La tragédie a-t-elle eu une fonction politique et sociale? Que son avènement ait coïncidé avec celui de la démocratie est-il dû à un pur hasard?
Réaction 2


La tragédie faisait partie des événements d'une fête collective organisée par l'État (les dionysies). Le concours tragique, qui opposait trois concurrents, se présentait comme une cérémonie à laquelle toute la cité était invitée non seulement à assister mais aussi à participer en votant pour le meilleur auteur. C'était donc un événement démocratique, qui favorisait la cohésion de la cité et l'esprit civique.

Votre oeuvre comme chemin vers un événement collectif s'inscrit dans le même genre de démarche. Aujourd'hui la tragédie n'est plus ce qu'elle fut dans ce demi-siècle unique et les dramaturges modernes transposent ou reproduisent plus qu'ils ne participent à un mouvement politique. Il est douteux qu'une recherche sur les aliments biologiques doive déboucher sur un genre comme la tragédie; mais qui sait? Il faudrait saisir, dans les affrontements entre producteurs de céréales transgéniques et consommateurs bio, le drame des consciences, leur attachement à des objectifs privés et personnels, leurs relations avec les institutions, leurs élans et leurs frustrations, leur affirmation de soi.

Mais passons à un type de tragédie plus proche des nôtres. Dans la littérature française, au XVIIe siècle, chez Corneille et Racine, le drame avait-il le même retentissement qu'en Grèce? La tragédie avait-elle encore une fonction sociale? La société était-elle démocratiquement gouvernée?
Réaction 3


L'Europe est sous l'Ancien Régime. Ce sont des monarchies "de droit divin". Vont-elles admettre une activité publique comme la tragédie grecque, qui s'adressait à des citoyens égaux en droits, capables de remettre en question tous ensemble l'autorité de la religion et celle de l'État, pour faire admettre la valeur de l'individu et l'authenticité de la liberté?... La tragédie classique avait pour public une élite tournée et respectueusement vers un représentant de la divinité, un roi. La noblesse, la bourgeoisie de robe, le haut clergé ne pouvaient qu'être en accord avec les valeurs d'honneur, de gloire, d'absolutisme moral qui sous-tendent les pièces tragiques. Ainsi, on trouve dans ce théâtre des personnages aux prises avec un conflit intérieur : ils sont déchirés entre leurs intérêts sociaux, politiques et leurs désirs, leurs aspirations intimes (conflit entre la morale et l'amour). Ils doivent faire un choix et sacrifier une part d'eux-mêmes. Cette idée de sacrifice est fondamentale : elle illustre l'impossibilité pour l'individu d'accéder au bonheur d'être lui-même. La tragédie classique, par sa régularité et sa noblesse, est un reflet de l'idéal d'ordre et d'unité de la société française de l'époque, idéal auquel chacun est invité à se sacrifier de bon gré.
Tartuffe, dévot personnage à qui Orgon a confié toutes ses affaires, vient s'emparer de la maison de son bienfaiteur au nom de la loi et donc du roi. ORGON. -- Mais t'es-tu souvenu que ma main charitable,/ Ingrat, t'a retiré d'un état misérable? TARTUFFE. -- Oui, je sais quel secours j'en ai pu recevoir;/ Mais l'intérêt du prince est mon premier devoir;/ De ce devoir sacré la juste violence / Étouffe dans mon coeur toute reconnaissance,/ Et je sacrifierais à de si puissants noeuds / Amis, femme, parents, et moi-même avec eux.
1 Orgon est ridiculisé mais Tartuffe dévoile sa perfidie avec un excès finalement comique.
2 Orgon voit définitivement sa confiance trahie et la victoire de l'hypocrite fait frémir. La situation est tragique.
3 Le malheur frappe surtout la famille d'Orgon. La scène annonce le drame bourgeois qui florira un siècle plus tard.
4 Molière ose lever le voile sur le système politique et religieux de son siècle.
Réaction 4


Ce sacrifice personnel est présenté de façon noble et subtile, qui vise au sublime... Au sein du classicisme naît par là un courant baroque, qui se répand en Espagne et en Angleterre avant d'atteindre la France. Le chef-d'oeuvre de Corneille, le Cid, en offre de nombreux exemples.
On sait qu'un affront du père de Chimène envers celui de Rodrigue a obligé ce héros à un duel dont, contre toute attente, il sort vainqueur. Chimène à son tour suscite à Rodrigue un duel car elle se doit, elle aussi, de venger son père, comme Rodrigue l'avait fait pour le sien. Rodrigue alors vient lui dire qu'il ne se défendra pas contre Don Sanche. «Je vais lui présenter mon estomac ouvert / Adorant, de sa main, la vôtre qui me perd.» (Corneille, le Cid, v.1499-1500).
1 Situation classique. Le héros mourra pour accomplir le souhait de sa «maîtresse».
2 Situation baroque. L'invincible se laisse vaincre par amour.
3 Éloquence subtile. Il accule Chimène à le perdre si elle ne renonce pas à venger son père.
4 «Pointe» baroque (agudeza, conceptisme).
Réaction 5


La tragédie grecque montre le héros aux prises avec le Destin. Le baroque de Corneille et celui, plus humain encore, de Racine ont-ils autant d'élévation?
Réaction 6


Ils accentuent plutôt la dimension dramatique personnelle. G. Steiner, dans la Mort de la tragédie (p.45-46), le souligne dans les termes suivants.
Corneille atteint à sa maîtrise propre du premier coup dans l'acte V d'Horace. Du point de vue de la structure théâtrale, cet acte tout entier est inutile (le conflit essentiel a été résolu et le meurtre de Camille est une violence gratuite); mais il montre comment les mots, en politique, peuvent chasser l'humaine raison... le suicide est élevé à la dignité de patriotisme:
Permettez, ô grand roi, que de ce bras vainqueur
Je m'immole à ma gloire et non pas à ma soeur.
(...) La Syrie de Rodogune, le royaume lombard de Pertharite, le royaume des Parthes dans Suréna... donnaient précisément à Corneille le genre d'intrigue dont il avait besoin....intrigue obscure et catastrophe violente... Les critiques, à l'exception brillante de Brasillach, ont négligé les dernières pièces de Corneille mais notre époque, où la rhétorique politique a fait tant de ravages, devrait reconnaître la force de la vision de Corneille..... Il n'existe pas de théâtre politique plus pénétrant ni plus vigoureux.


C'est donc lorsque votre sujet offre une dimension politique, et particulièrement s'il s'agit de peindre l'état d'âme de ceux qui sont prêts à donner leur vie pour une cause politique, que le modèle de la tragédie classique offre des formes immédiatement décodables.

Au XIXe, de nouvelles formes dramatiques vont succéder au drame bourgeois, pas très convaincant, du XVIIIe , notamment le drame psychologique. Celui-ci compte entre autres comme représentants August Strindberg (1849-1912, Père) et Anton Tchekhov (1860-1904, la Mouette), et, au XXe siècle, Jean-Paul Sartre (1905-1980, Huis clos) et Jean Anouilh (1910-1987, le Voyageur sans bagages).

Y a-t-il une tragédie pour notre époque? Connaissez-vous les Justes de Camus? Donnez quelques titres qui vous semblent représentatifs.
Réaction 7


C'est du côté de Wozzek (Alban Berg), Mère Courage (Bertolt Brecht) et les Mouches (J.-P. Sartre) que nous pouvons trouver des modèles de tragédies adaptées aux idées de notre temps. Mentionnons aussi l'Antigone d'Anouilh. Les paradigmes du tragique contemporain sont : un destin individuel mais représentatif des situations sociales, des faits historiques mais typiques des situations politiques, un texte à la fois vraisemblable et littéraire.



APPLICATION pour la tragédie.

Ébaucher quelques scènes susceptibles de figurer dans une tragédie.

Deux choses à éviter: le merveilleux (aller plutôt au conte) et les banalités ou platitudes (notamment le tour humoristique). Viser le sérieux et la grandeur, même si les protagonistes sont dans la misère, qui peut conférer de la grandeur (les personnages de Beckett qui logent dans une poubelle, la robe du Christ jouée aux dés). C'est tellement vrai que le dénouement ne doit pas satisfaire les espérances : au contraire! Plus la fin sera regrettable, plus l'effet sera fort par réaction. Par exemple, finir en montrant un village ravagé par l'armée, un foyer dévasté par une mère indigne. Les tragédies de Shakespeare ne finissent pas par hasard sur une hécatombe.

C'est dire que la tragédie est un choix littéraire particulièrement adapté aux dénonciations d'abus dans la société. Dans ce but, il s'agit d'en développer les effets dans une action. Esquissez ci-dessous comment l'on pourrait, pour votre sujet, tenter une esquisse de tragédie.
Réaction 8


Voici quelques procédés utiles.
L'adversité --- la chicane --- la prise de position --- l'attaque --- l'affrontement --- l'altercation --- l'injure --- apostropher --- le ton menaçant --- l'alternative comminatoire --- la formule de provocation --- la menace --- la crainte --- l'autorité --- l'absolutisme --- l'orgueil --- la perfidie --- l'éthique --- l'amour platonique --- la promesse --- l'abjuration --- le contre-pied --- le lèse-majesté --- la malveillance --- l'ambivalence --- la confusion affective --- le geste décisif --- l'injonction --- la croissance de l'action --- le dévoilement --- la crise --- le suspense --- le rebondissement --- l'intensification dramatique --- le climax --- l'accès --- l'ivresse --- le dantesque --- l'hystérie --- la catharsis --- la catastrophe --- la sanction --- la disgrâce --- la vexation --- les adieux --- la désillusion --- l'agenouillement --- la plainte --- le pessimisme --- le stoïcisme --- le cynisme --- le ressentiment --- le sentiment à outrance --- le retournement de situation --- la détente comique --- l'erreur tragique --- l'animosité --- la surenchère --- l'exaltation. Personnages typés : Borgia, Roméo, Juliette.


Voici aussi des procédés et des concepts formels.
La pièce historique --- le dialogue d'exposition --- le dialogue de scène --- la repartie --- du tac au tac --- le monologue --- l'aparté --- le protagoniste --- le deutéragoniste --- le choeur --- le confident --- la question --- l'exclamation --- le ô lyrique --- l'interruption --- la justification --- l'exagération --- l'alliance d'idées --- l'oxymore --- le contraste --- l'énantiose --- la rupture de ton --- l'âpreté --- le sarcasme --- l'hyperbole --- l'adynaton --- la pointe --- l'emphase --- le style sublime --- le style soutenu --- l'élégance --- l'ornement --- le classicisme --- le langage châtié --- l'alexandrin classique --- le leitmotiv --- la réduplication --- le tour emphatique --- l'anadiplose emphatique --- la comparaison figurative --- la métaphore --- la métaphore consacrée --- la personnification allégorique --- la métonymie --- la gradation intensive.


Et voici un exemple de ce style sublime, qui convient au tragique. Il est pris au coeur de la Révolution.

Tu donneras ton nom à l'une des plus belles fêtes, ô toi, fille de la nature! Mère du bonheur et de la gloire! toi, seule légitime souveraine du Monde, détrônée par le crime, toi à qui le Peuple français a rendu ton empire et qui lui donnes en échange une Patrie et des moeurs, auguste Liberté! tu partageras nos sacrifices avec ta compagne immortelle, la douce et sainte Égalité. En ce discours de Robespierre à la Convention (18 Floréal, an II), on reconnaît ________.
1 l'enthousiasme révolutionnaire
2 la rhétorique classique
3 la pompe du sublime
4 (N'importe)


Choisissez un des procédés énumérés. Rédigez, à partir de sa définition, une réplique, dans le cadre de votre sujet.
Réaction 9


On évitera toutefois l'excès de sublime, qui pourrait basculer. Le XIXe siècle a vu fleurir l'opéra. D'un abord plus facile, le guignol va retenir ici notre attention.

Le guignol.

Les invectives échangées entre les poupées qui entrent et sortent du minuscule espace scénique découpé dans un panneau bariolé sur lequel se concentrent tous les regards... sont ponctuées par des coups de bâtons et l'entrechoquement des têtes de bois. Tac! Et clac! Est-ce du comique ou du tragique? Quels sont les traits caractéristiques du théâtre de marionnettes?
Réaction 10


Le montreur de marionnettes a un public enfantin, pour qui le geste importe plus que le mot. Il y a donc du mouvement, et ce mouvement, c'est surtout celui des coups de bâtons (argument ad baculinum, variante primitive de l'argument d'autorité). Polichinelle, personnage de la comédie italienne, dont le chapeau cornu et le costume jaune, vert, rouge, d'avance font rire, représente ce qui fascine et fait peur, l'événement pur, l'autorité d'un père étrange, ou d'un maître d'école. Quelqu'un punit sans arrêt et sans motif. Il se fera rosser à son tour et le diable l'emportera sous son bras, ce qui rétablit la justice, même si la scène est vide et l'événement réduit au coups de bâton, à l'épée, à la potence, ou à la pauvre pitance... Le rire est grinçant, au guignol (et il l'est dans le "grand guignol", qui va jusqu'au meurtre et où le sang coule à flots) mais le petit public tout de même se réjouit en pensant que son propre sort n'est pas aussi catastrophique.

Comment monter une intrigue pour poupées de bois? Quels seront les antagonistes?
Réaction 11


En face de l'autorité abusive, dont on ne peut empêcher les abus, mais qui n'arrivera pas en paradis, il y a d'abord des personnages d'enfants, qui se sauvent par la fuite mais qui savent aussi répondre avec à propos, car ils ont la langue bien pendue. Ils peuvent rivaliser avec les adultes!
CASSANDRE --- Mon fils, vous ne serez jamais qu'un sot! PIERROT --- Tel père, tel fils! (Début de Polichinelle précepteur, dans L.-E. DUranty, Théâtre de marionnettes)
1 Corrélation.
2 Du tac au tac.
3 Proverbe accommodé.
4 Rupture de ton.
Réaction 12


Voilà d'emblée deux types, le père et le fils, deux catégories de personnages dont on peut faire varier les apparitions (plusieurs enfants, poupons, adolescents, différentes sortes de maîtres : avocat, gendarme, vieille femme, sorcier).

Un autre personnage significatif et constant est le gendarme. Il représente l'autorité mais de manière plus triviale que le personnage du roi. Le dénouement, quand tous les personnages ont été assommés par la batte de Polichinelle, est assuré par le personnage du diable, qui emporte en enfer le sans coeur.

S'ajoutent quelques personnages féminins, jamais très tendres, aussi égoïstes, gourmands, vénaux, craintifs, ou vaniteux. Tout est caricatural. Mais ils ont le meilleur coeur. Et puis, il y a aussi des animaux : le chien, qui vole un boudin, l'âne, le cheval, le cochon...

Parmi ces personnages, on cherchera évidemment une place pour nos antagonistes A et B. Ainsi, dans les Deux Amis, Polichinelle a pour interlocuteur Gribiche, qui a la naïveté de croire tout ce que l'autre lui dit, et tombe dans le rôle de victime. Le couple conviendrait pour illustrer bien des situations courantes. Mais il faut trouver des intrigues. Par exemple, Polichinelle charge Gribiche d'attacher une casserole à la queue d'un chien. Il se fera mordre, mais en plus, le maître du chien viendra venger son malheureux toutou en coiffant Gribiche de la casserole!

Comment trouver de ces gags sans lesquels nos réalisations seraient sans intérêt : dramatiques, mais pas comiques (et il faut faire rire pour être écouté)?
Réaction 13


Difficile? Oui, et difficile à dire d'avance; autrement, ce ne serait plus du comique. Il y a de l'inattendu, de la surprise, effet qui ne se commande pas mais qui ravit d'autant plus. Or, dans une comédie, c'est ce qui donne du punch (le mot est anglais mais il est passé au français). Le punch d'une oeuvre littéraire n'est anglais que par sa notoriété. Par son origine, il est italien, et même, il n'est autre que pulchinella, donc notre polichinelle, cet affreux jojo baveux, vicieux, sordide et brutal, mais coloré, joyeux, astucieux, victorieux... jusqu'à ce que le diable s'en saisisse.

La clé du comique (puisque nous tentons, en dépit de toute vraisemblance, de la fournir), est dans ce Polichinelle. Il faut un dilemme. On partira d'une situation, déjà tragique en fait (et tout à fait telle dans le grand Guignol; affreuse). Puis, au lieu de la crise, de la catastrophe, ou de la lutte acharnée, ou de la souffrance, une porte de sortie latérale, un jeu de mot s'il le faut, un raisonnement absurde, un événement intempestif, quelque chose que personnifie ce pantin coloré, bossu, hilare, qui, bien loin de tout arranger, va plutôt venir vous assommer avec sa latte de bois, qu'il ne cesse d'agiter dans toutes les directions. Telle est la situation de base, naturellement très simplifiée, et qu'il suffit de colorer avec les personnages de son sujet pour en tirer une scène de théâtre de marionnettes.
Polichinelle prétend faire une farce à Gribiche et le bat. GRIBICHE --- Eh! eh! assez, tu m'assommes, je suis mort! Il tombe. Polichinelle le roule en tous sens en lui glissant son bâton sur le cou. POLICHINELLE --- ...Ah! ça, est-ce que je l'aurais tué? Hé! Gribiche!
1 Vexation.
2 Mauvais tour.
3 Malentendu.
4 Perfidie.
Réaction 14


Sur cette situation de base se greffent quantité d'issues qui sont de fausses portes de secours car elles ne font qu'aggraver la situation.
LA MÈRE GIGOGNE --- J'ai épousé Polichinelle; il me bat, il me vole. POLICHINELLE --- Je l'adore. C'est elle qui me bat. LA MÈRE GIGOGNE --- Il veut me prendre mon sac de mille écus que j'ai amassés à la sueur de mon front. POLICHINELLE --- Mais je ne l'ai épousée que pour ça!
1 Cette dernière réplique est un bel exemple de sincérité.
2 Il essaie de se désenferrer.
3 Irrévérence.
4 Contradiction.
Réaction 15


Oser dire du mal de soi comme si ce n'en était pas! Freud ferait ses délices d'un tel client sur son divan... L'inconscient mis à nu. Simulation de soi qui vient épouser tous les contours de la somme d'aberrations successives qui constitue la trop riche et trop pauvre trame de nos vies. Surprise émanant des profondeurs. Le hic du comique est dans l'inattendu.

La surprise peut venir d'un simple jeu de mot.
LE NOTAIRE --- Hé! hé! Polichinelle, tu te maries donc? POLICHINELLE --- Ma foi oui, je m'engigogne! LE NOTAIRE --- Quoi? POLICHINELLE --- J'épouse la mère Gigogne.
1 Le mot en gras est une dénomination propre.
2 Une annomination.
3 Une translation verbale.
4 (Autre chose)
Réaction 16


Ce qui est facile, avec le guignol, c'est que l'on peut toujours poursuivre en rupture : on fait sortir un personnage, on en fait surgir un nouveau, mais surtout : on donne et on reçoit des coups de bâton. L'action remplace la réflexion, qui se fraie un chemin à elle par toute une série de gags sans signification particulière.

Et dire que nous cherchions comment transformer notre argumentaire en intrigue! Voilà qu'il suffit d'avoir quelques personnages, typés socialement, de les vêtir des oripeaux du métier qu'ils exercent, de les laisser s'interpeller selon leurs préjugés mutuels, et hop! Quelques coups. Ils sont en scène. Plus leurs réactions sont primitives et sans suite, plus ils déconcertent, plus ils fascinent. Sans doute, leur intérêt n'est que celui d'un public très jeune - mais le grand public reste si jeune. Polichinelle, qui n'a jamais un sou, va jusqu'à proposer ses enfants au charcutier pour payer ses dettes. Aucune outrance, aucun scandale n'est interdit (consomption de la diabole). Il suffit de se mettre dans le cadre de son sujet.

APPLICATION.

Vous êtes au jardin du Luxembourg devant un public badaud. Le montreur de marionnettes vous initie au maniement des poupées. Il vous installe derrière le castolot. À vous de les choisir, de les faire bouger, de les faire parler, durant quelques minutes...
Réaction 17


Bien entendu, avec un argumentaire, la farce s'affine et peut devenir plus longue.

La comédie.

Dérive-t-elle de la tragédie ou de la farce populaire?
Dans la farce du Cuvier, épouse et belle-mère s'unissent pour que Jaquinot fasse le ménage, s'occupe du bébé, soit au moulin et au four, et à la lessive... Elles lui font signer un «rollet» de toutes les tâches qu'il devra assumer dorénavant. Or voilà que, en tirant sur un drap, l'épouse glisse et tombe dans la grande cuve. Impossible de sortir de là sans aide. Mais Jacquinot ne veut pas lui tendre la main. «Ce n'est pas à mon rollet.» À quoi reconnaît-on que cette pièce médiévale est bien une farce?
1 À la répétition de «ce n'est pas à mon rollet», qui se poursuit jusqu'à ce que les deux femmes renoncent à leur prétention.
2 À la trivialité. Au grossissement comique.
3 Aux injures. Aux altercations. À la violence.
4 À la simplicité de l'action. À la brièveté de la pièce.
-- Tenez ce bout-là. Tordez. --- Que ce linge est sale. Il pue la couche. -- C'est un étron que vous avez dans la bouche. -- Je vous assure qu'il y a de la merde. -- Je vous la jetterai au visage. -- Gare à vous, par le diable! -- Voilà. Sentez! Soyez cornu! -- Satan vous étouffe! Mes habits sont perdus! Cette jolie scène de ménage remonte _____.
1 à l'Antiquité
2 au Moyen Âge
3 au siècle de Louis XIV
4 au XIXe
Réaction 18


De la farce, qu'elle embellit pour plaire à un public plus raffiné, qui fut justement celui de la tragédie. À la base de la comédie, il y a l'idée de jeu : jouer avec les êtres et les choses, se jouer d'eux allègrement. La Commedia dell'arte est le modèle le plus achevé, avec ses personnages typés (Arlequin, Colombine, Pantalon) et sa perpétuelle innovation textuelle. On en a vu un avatar populaire : le guignol.

Ce jeu (entendu à la fois comme amusement et comme distance prise par rapport au monde) est lui aussi un moyen efficace et fécond de traiter des problèmes des hommes et de la société. Certains auteurs de comédies s'en sont avisés et ont ainsi proposé, par le biais du rire et d'une écriture ludique, une critique, une satire des moeurs (ex.: Aristophane, Molière, Marivaux, Beaumarchais, Salacrou, Giraudoux, Anouilh, Ionesco); ils ont fait de la comédie un miroir qui reflète la réalité, mais en la déformant, en la grossissant, en la transformant (ex.: création de types comiques).

Le théâtre, avec sa grande portée, a permis à ces écrivains une diffusion très large de leurs « idées ». Les auteurs de comédies (pas le théâtre de boulevard mais les plus grands) sont donc profondément engagés dans la vie de l'époque; la comédie, pour eux, n'est pas un simple divertissement : c'est un moyen d'agir. Les pouvoirs dogmatiques (Cf. les luttes de Molière contre le parlement de Paris et Bossuet) ont rarement vu d'un bon oeil d'être exposés à la critique par le ridicule.

Y a-t-il différents genres de comédie?
Réaction 19


Les principaux genres de comédie jusqu'à la fin du XIXe siècle sont la comédie de caractère (ex.: le Misanthrope), la comédie de moeurs (ex.: Turcaret de Lesage), la comédie romanesque ou fantaisiste (ex.: le Prince travesti de Marivaux), la comédie burlesque (ex.:les Fourberies de Scapin), la comédie dramatique (ex.: On ne badine pas avec l'Amour de Musset), la comédie réaliste (XIXe siècle, ex.: l'oeuvre de Gogol), le vaudeville (apparu après la Révolution, ex.: l'oeuvre de Feydeau). À partir du XIXe s'ajoutent une comédie d'intrigue (de cape et d'épée, à épisode, à tiroir) et une comédie de situation. La comédie-farce n'est pas loin du guignol et remonte comme lui à la comédie italienne, à la commedia dell'arte avec ses pantalonnades. La comédie de boulevard, le vaudeville, se dispensent de toute gravité du sujet (Ciel, mon mari!)

Que devient la comédie au XXe siècle?
Réaction 20


Elle se transforme considérablement, et dans des directions de plus en plus originales. On peut distinguer quatre courants principaux : une comédie traditionnelle reprend les schémas pratiqués depuis longtemps (Sacha Guitry, Jean Anouilh, Marcel Pagnol, Jules Romain); une comédie allégorique mêle à l'humour le lyrisme (Protée de Claudel, 1913; Intermezzo de Giraudoux, 1933) ou le fantastique (Crommelynck, le Cocu magnifique, 1921); une comédie poétique utilise les ressources du langage pour explorer les vérités secrètes du monde (Jules Supervielle, le Voleur d'enfants, 1948; Georges Schehadé, Monsieur Bob'le, 1951; Jacques Audiberti, Le mal court, 1947); une comédie qui se présente comme anti-comédie, où le comique, agressif ou burlesque, cherche à détruire toutes les valeurs humaines pour montrer l'absurdité du monde, tout en faisant éclater les catégories traditionnelles de la dramaturgie (personnages, action, etc.): Alfred Jarry, Ubu roi, 1896; Guillaume Apollinaire, les Mamelles de Tirésias, 1917; Eugène Ionesco, la Cantatrice Chauve, 1950; Samuel Beckett, En attendant Godot, 1953. Ajoutons la comédie musicale, qui est américaine et comporte chant et danse.

Faudrait-il préférer la tragédie à la comédie? Celle-ci n'est-elle pas un genre inférieur?
Réaction 21


Il faut trouver la forme qui peut toucher le public et lui plaire. La comédie est plus tentante que la tragédie par ses effets de plaisir immédiat et son apparente simplicité de fabrication. Toutefois, son intrigue est plus élaborée car elle contient des absurdités, des outrances ridiculisées, des paradoxes, des quiproquos, des retournements de situation. Par ailleurs, elle a l'avantage de ne pas obliger l'auteur, ni le public, à prendre parti (si ce n'est d'en rire).

La comédie reproduit ces simulations, feintes et clins d'oeil où peut s'exercer la liberté de chacun. Son apparente superficialité met en jeu toute la diversité des personnes. C'est le cas des marivaudages. Voici un exemple de quiproquo redoublé qui donne toutes sortes d'imbroglios.
Le prétendant à la main de la belle Silvia n'est qu'un valet déguisé. Orgon, qui le sait, s'amuse de la déconvenue de sa fille. En outre, il la taquine sur son attrait pour le valet, Bourguignon, car il sait que c'est Dorante, déguisé lui aussi. ORGON --- C'est donc ce garçon qui vient de sortir qui t'inspire cette extrême antipathie que tu as pour son maître? SILVIA --- Qui? le domestique de Dorante? ORGON --- Le galant Bourguignon. SILVIA --- Le galant Bourguignon, dont je ne savais pas l'épithète, ne me parle pas de lui. (Marivaux, le Jeu de l'amour et du hasard, II, 11)
1 Phrase-écho. (On cite ce que l'on vient d'entendre.)
2 Détournement de sens. (On fait que ce qui a été dit veuille dire autre chose.)
3 Perspective simulée. (On adopte le point de vue adverse pour rire.)
4 Ignorance feinte. (On fait semblant de ne pas comprendre.)
Réaction 22


Mais c'est que Silvia se sent réellement attirée par le prétendu Bourguignon... Le spectateur en sait plus qu'elle et va pouvoir se gausser de la lutte entre sa raison et son coeur.
Comment se défendre des compliments d'un valet si pressant quand on est déguisée en soubrette? DORANTE (Déguisé en Bourguignon) --- Laisse-moi du moins le plaisir de te voir. SILVIA --- Le beau motif qu'il me fournit là! J'amuserai la passion de Bourguignon! Le souvenir de tout ceci me fera bien rire un jour. (Marivaux, le Jeu de l'amour et du hasard, II, 9)
1 Raillerie. (On tourne qqn en ridicule.)
2 Auto-ironie. (On tourne contre soi son désir de porter des jugements.)
3 Astéisme. (On déguise la louange en blâme ou inversement.)
4 Subsumation. (On laisse l'interlocuteur se reconnaître parmi les personnages décrits.)
Réaction 23


Oui, la fille de Monsieur Orgon n'arrive pas à comprendre son attrait pour un valet.
La fille de Monsieur Orgon n'arrive pas à comprendre son attrait pour un valet. DORANTE (Déguisé en Bourguignon) --- Et je n'ai fait qu'une faute; c'est de n'être pas parti dès que je t'ai vue. SILVIA, à part. --- J'ai besoin à tout moment d'oublier que je l'écoute. (Marivaux, le Jeu de l'amour et du hasard, II, 9) Autrement dit: ______.
1 Sa conversation me distrait.
2 Je sais que je ne devrais pas l'écouter.
3 Il me persuade malgré moi.
4 Je sens que j'aime l'entendre.
Réaction 24


Alors, comment Marivaux crée-t-il ses effets? En multipliant les quiproquos. Car les domestiques, déguisés en petit-maître et petite-maîtresse, entendent jouer leur rôle de leur côté et le mener jusqu'au bout!
Sous des habits de valet, Dorante vient faire un message à Lisette. Il trouve celle-ci en train de se faire conter fleurette par son valet, Arlequin, qui est déguisé, lui, en prétendant. DORANTE --- Je n'ai qu'un mot à vous dire. ARLEQUIN --- Madame, s'il en dit deux, son congé sera le troisième. (Marivaux, le Jeu de l'amour et du hasard, II, 4)
1 Un cliché est pris au sens littéral et donc montré («dénudation de cliché»).
2 Originalité gratuite destinée à faire rire («effet de ridicule»).
3 Erreur que l'on cite pour faire rire de son auteur («perle»).
4 Idée d'une subtilité qui pose un défi («pointe»).
Réaction 25


Comme procédés, la comédie ne prend-elle pas ceux de l'humour (V. genres naturels)?
Le prétendant, déguisé, croit complimenter la suivante. SILVIA --- Tiens, tout ce que tu dis avoir senti en me voyant est précisément l'histoire de tous les valets qui m'ont vue. DORANTE --- Ma foi, je ne serais pas surpris quand ce serait aussi l'histoire de tous les maîtres. (Marivaux, le Jeu de l'amour et du hasard, I, 7) Quel est le procédé qui caractérise la réplique de Dorante?
1 Du tac au tac (l'argument est inversé presque dans les mêmes termes).
2 Trait (sens incisif, forme travaillée et brève).
3 Charientisme (compliment taquin).
4 A demi-mot (ce qui n'est pas dit sera compris).
Le valet déguisé est en veine de compliments. LISETTE --- Ne faut-il pas avoir de la raison? ARLEQUIN --- De la raison, hélas! je l'ai perdue; vos beaux yeux sont les filous qui me l'ont volée. (Marivaux, le Jeu de l'amour et du hasard, II, 3)
1 Le mot filou est trop familier pour l'élévation du ton général (dissonance).
2 Ce mot n'a pas son sens habituel (décalage).
3 Arlequin lui donne une valeur délicate et galante (marivaudage).
4 Une comparaison fait des yeux des individus (personnification).
Réaction 26


Vos yeux m'ont ravi la raison dirait-on dans le théâtre classique, et Arlequin renchérit à sa façon. L'amour va son chemin aussi du côté des prétendus maîtres, qui sont le valet et la suivante, déguisés mais sans se douter eux non plus du double quiproquo.

Et quand ça se complique, pourquoi ne pas subtiliser davantage encore?
La suivante déguisée avertit le maître de maison que le prétendant s'éprend d'elle, Lisette! Mais Orgon se garde bien de lui laisser savoir que celui-ci n'est autre qu'Arlequin. LISETTE --- Il faut pourtant que je vous dise que, si vous ne mettez ordre à ce qui arrive, votre prétendu gendre n'aura plus de coeur à donner à Mademoiselle votre fille. Il est temps qu'elle se déclare... ORGON --- Eh! (...) Te défies-tu de ses charmes? (Marivaux, le Jeu de l'amour et du hasard, II, 1)
1 Orgon pousse Lisette à avouer plus clairement son succès (arrachement d'aveu).
2 Il exhibe un prétendu point faible caché (ignoratio oratoire).
3 Il déforme la visée adverse en vue de gagner du temps (argument dilatoire).
4 Il ramène tout à son interprétation vague et floue (généralisation réductrice).
Réaction 27


Les procédés de la comédie.

À en juger par ce qui précède, on pourrait croire qu'il n'y a rien de plus complexe que les procédés de la comédie. Elle a une telle diversité! Farce ou pièce de salon, comédie de mots ou comédie-ballet...

D'Arlequin à Charlot, de Figaro à Zazie, le geste importe autant que la parole. Pirouette, pied de nez, entrechat, essoufflement, bégaiement, chevrotement, larmes de crocodile, élégance ou effronterie, maladresse ou pitrerie : toute gesticulation peut amuser le parterre et susciter des applaudissements. Pour réussir son entrée ou sa sortie, il suffit de "s'enfarger dans les fleurs du tapis". Le jargon des béotiens, la courbette du pantin, la balourdise de Bécassine, les bévues de Paillasse, les conneries de Gaston la Gaffe, les lapalissades de Dupond et Dupont : effets de ridicule! Une peau de banane suffit à provoquer une perte d'équilibre dont Bergson a fait le prototype du risible en parlant de "mécanique plaqué sur du vivant".

Mais faire de l'esprit, est-ce un bon moyen pour faire rire?
Réaction 28


Pour faire rire de soi. Ainsi, Molière se moque de qui cherche à faire le bel esprit. Il compose pour Trissotin un sonnet qui le ridiculise, en lui permettant de briller dans son genre badin.
TRISSOTIN - Sonnet à la princesse Uranie sur sa fièvre.
Votre prudence est endormie, / De traiter magnifiquement, / Et de loger superbement / Votre plus cruelle ennemie. (.....)
ARMANDE - Prudence endormie!
BÉLISE - Loger son ennemie!
PHILAMINTE - Superbement et magnifiquement!
TRISSOTIN - Faites-la sortir, quoi qu'on die, / De votre riche appartement, / Où cette ingrate insolemment / Attaque votre belle vie. (.....)
PHILAMINTE - Votre belle vie!
ARMANDE et BÉLISE - Ah!
TRISSOTIN - Quoi? sans respecter votre rang, / Elle se prend à votre sang,
PHILAMINTE, ARMANDE et BÉLISE - Ah!
TRISSOTIN - Et nuit et jour vous fait outrage!
Si vous la conduisez aux bains, / Sans la marchander davantage, / Noyez-la de vos propres mains.
PHILAMINTE - On n'en peut plus.
BÉLISE - On pâme.
ARMANDE - On se meurt de plaisir. (Molière, les Femmes savantes, 3,2)


Quels sont ici les procédés, classiques, qu'un sujet aussi trivial qu'une fièvre permet de rabaisser, malgré leur importance au grand siècle?
Réaction 29


L'apostrophe (votre, votre), la personnification d'une qualité (prudence endormie), l'allégorie (la fièvre comme personnage), l'alliance d'idée (traiter et loger son ennemie), les "grands adverbes" que souligne Philaminte, l'archaïsme de langage (quoiqu'on die), la métaphore concrète (riche appartement), la métonymie de la qualité (cette ingrate), la métaphore abstraite (votre belle vie), la syllepse de sens (sang), l'exclamation, la menace. On n'est pas loin du langage de la tragédie racinienne, avec un grossissement comique qui fait tomber le sublime dans le burlesque.

Molière réussit une parodie qui trouve son efficacité à Versailles. Il faudrait, si nous voulons en faire autant, trouver les moyens de parodier les milieux d'aujourd'hui. C'est ce que fait Anouilh pour les comédiens dans le Rendez-vous de Senlis.
PHILÉMON -- Nous nous sommes rencontrés à la gare. Vous dire notre surprise! Deux vieux amis qui s'étaient perdus depuis dix ans. Je marchais, tout à coup... (Ils miment la rencontre sur-le-champ.) "Tiens, Émilienne, ma bonne amie..."
MME DE MONTALEMBREUSE -- "Mon bon ami Ferdinand! Se retrouver après dix ans de tournées..."
PHILÉMON -- "Ma bonne amie, il t'en souvient, de nos triomphes en Égypte?..." et patati et patata... "Mais où vas-tu?" "Et toi?"


Pouvez-vous identifier dans cet extrait quelques procédés caractéristiques de la comédie?
Réaction 30


Ils parlent avec animation mais ils manquent de naturel, en tout cas d'originalité (poncif, stéréotype). Les intonations sont conventionnelles mais vives (mélodie exclamative, mélodie allusive). Bien qu'ils se complaisent dans leur papotage, ils le résument (patati, patata). Deux tons se mêlent : la familiarité (petit nom) et le style soutenu (il t'en souvient). C'est un dialogue d'exposition doublement simulé puisqu'il crée du théâtre dans le théâtre (les personnages de comédiens racontent leur rencontre en la jouant). Philémon va jusqu'à jouer lui-même les deux rôles ("Mais où vas-tu?" "Et toi?" : théâtralisation). Mentionnons encore l'appel "épistolaire" (ma bonne amie, mon bon ami, ma bonne amie) et le parenthyrse (enthousiasme simulé).

Mais quels seraient les procédés fondamentaux, les plus constants et les plus typiques, de la comédie?
Réaction 31


Le quiproquo, de Térence à Marivaux, suivi de l'anagnorisis (reconnaissance ou dévoilement).
Dorante vient de s'engager vis-à-vis de Silvia malgré qu'elle soit, croit-il, une domestique. Le père de celle-ci survient. SILVIA --- Ah! mon père, vous avez voulu que je fusse à Dorante. Venez voir votre fille vous obéir avec plus de joie qu'on n'en eut jamais. DORANTE --- Qu'entends-je! vous, son père, monsieur? (Marivaux, le Jeu de l'amour et du hasard, III, 9)
1 Ce sera la fin de l'action (dénouement).
2 Cette fin est conforme à ce que le début permettait comme horizon d'attente (homéotélie).
3 L'identification de Silvia vient renverser le dénouement escompté (coup de théâtre).
4 Le quiproquo est levé (anagnorisis, reconnaissance).
Réaction 32


En fait de quiproquo, le Barbier de Séville de Beaumarchais en offre des exemples répétés. Un jeune comte, Almaviva, s'est épris d'une jeune fille, Rosine, que voulait épouser son tuteur, Bartholo. Le comte se fait passer vis-à-vis d'elle pour un certain Lindor mais pour arriver à lui parler, il se présente à Bartholo sous le nom d'Alonso, avec le prétexte bien connu de donner à Rosine une leçon de chant à la place de Basile. Il éprouve quelque difficulté à persuader le barbon et n'y parvient qu'en lui révélant, de la part de Basile, que, ne pouvant venir en personne, il l'a chargé de l'avertir que Basile s'est laissé charger par Rosine d'une lettre pour le comte Almaviva (lui, en réalité), dans laquelle elle accepte de s'échapper de chez son tuteur... alors qu'Almaviva aurait de son côté quitté la ville avec une autre future épouse. Sur ce tissu d'inventions périlleuses, voici que Basile en personne survient.
BARTHOLO -- (...) Le Seigneur Alonso m'avait fort effrayé sur votre état. (...)
BASILE, étonné. -- Le Seigneur Alonso?... (regardant tout le monde) Me ferez-vous le plaisir de me dire, messieurs?...
FIGARO -- Vous lui parlerez quand je serai parti.
BASILE -- Mais encore faudrait-il...
LE COMTE -- Il faudrait vous taire, Basile. Croyez-vous apprendre à Monsieur quelque chose qu'il ignore? Je lui ai raconté que vous m'aviez chargé de venir donner une leçon de musique à votre place.
BASILE, plus étonné. -- La leçon de musique!... Alonso!...
ROSINE, à part, à Basile. -- Eh! taisez-vous.
BASILE -- Elle aussi?
LE COMTE, bas, à Bartholo. -- Dites-lui donc tout bas que nous en sommes convenus.
BARTHOLO -- N'allez pas nous démentir, Basile, vous gâteriez tout.
BASILE -- Ah! Ah!


Rosine le fait taire pour que Lindor ne soit pas reconnu et puisse lui donner un rendez-vous; Almaviva le fait taire aussi, pour que Bartholo ne puisse apprendre qui il est; Figaro veut empêcher que le jeu de Rosine soit dévoilé. Quant à Bartholo, il croit à l'histoire de la lettre et veut l'obtenir afin de confondre Rosine et l'obliger à l'épouser.

Enfin Basile, qui n'y comprend goutte, sinon que personne ne veut l'entendre dire ce qui en est réellement, finira par se laisser convaincre de rentrer chez lui, «puisqu'il est malade» (perspective simulée). Y a-t-il ici plusieurs quiproquos?
Réaction 33


Les quiproquos varient suivant les personnages points de vue. De plus, ils s'entrecroisent. Tel est le genre d'embrouillamini qui porte la comédie à son comble.

On pourrait penser : le quiproquo est classique comme truc et ne convient plus de nos jours, d'autant plus que Marivaux et Beaumarchais l'ont parachevé. Mais il n'est pas nécessaire de le faire de la même manière qu'eux et le perlocutoire restera toujours une dimension passionnante de la réalité. Partons du jeu de miroir que les antagonistes mènent l'un contre l'autre : n'est-il pas la cause de leurs malentendus? Se faisant l'un de l'autre des idées affreuses - et complémentaires, ils creusent le dilemme. Le moindre événement suscite une chaîne de repositionnements réciproques. Basées sur des préjugés, ces réactions sont prévisibles. On peut tenter de reconstituer ce qui se dit dans les corridors des assemblées.

APPLICATION.

Bâtir les grandes lignes d'une intrigue avec quiproquo. Il suffit pour cela de faire éclater au grand jour l'absurdité des préjugés d'un de vos antagonistes (ou des deux). Il survient un médiateur inattendu. Ses propos un peu trop spontanés laissent entrevoir une solution. Elle est aussitôt mal interprétée, mais aucun des opposants ne l'interprète de la même façon. On s'entend pour le soupçonner d'être un agent de la partie adverse et pour l'accuser de vouloir faire de la subversion. Bien que ses efforts aient déjà été réduits à néant, on fait courir des bruits sur son compte et on lui envoie des menaces.

Réaction 34


Comme tous les publics n'ont pas envie de rire, si vous ne vous êtes pas laissé tenter par la «force comique», vous allez pouvoir, dans le prochain module, vous laisser guider par la «force poétique», par le lyrisme.

Retour à la page d'accueil du C.A.F.É.

Retour à la table des matières.

Copyright © 1998-2004 C.A.F.É.