Module 16. Psychologie. Des comportements prévisibles. 54 interactions. 52 QCM.

Attitudes implicites.

Il faut de la psychologie, dans la vie. Mais pour écrire, est-ce indispensable? Pourquoi?
Réaction 1


Si l'écriture est aussi un dialogue implicite entre deux "sujets parlants" (dont le second marche sur les traces du premier en s'efforçant de le suivre dans toutes ses démarches), écrire exige de la psychologie. Et d'abord, il importe à l'auteur de ne pas trop se méprendre sur les réactions probables de la majorité de ses lecteurs.
Au téléjournal: "Grève chez Fratk. Le syndicat affirme que l'employeur refuse de négocier. L'entreprise déclare avoir déposé une offre finale." Quelle est la réaction que vous considérerez comme probable de la part de M. Toulemonde?
1 Étudier et approfondir la position patronale et syndicale.
2 Prendre position pour le syndicat.
3 Prendre position pour l'employeur.
4 Prendre position.
Réaction 2


Le lecteur moyen aime à prendre position. Il ne se lancera pas spontanément dans de savantes analyses, dont les méthodes sont d'ailleurs loin dans son esprit, si elles y furent jamais. Faut-il penser qu'il est donc incapable de prendre des initiatives?
Les cyclistes en pantalon en fixent le bas à l'aide de pinces métalliques. Certains renonceront à un déplacement faute de cet accessoire indispensable. Il suffirait pourtant de couvrir le tuyau du pantalon avec sa chaussette, ou de l'attacher avec une ficelle, un élastique, de le retrousser... en pirate. Pourquoi la plupart vont-ils préférer l'autobus ou la marche, dans cette conjoncture?
1 Conformisme.
2 Souci d'élégance.
3 Il est faux que la plupart renoncent: ils utilisent au contraire une des alternatives mentionnées.
4 Ils ne cherchent pas d'alternative et donc n'en trouvent pas...
Réaction 3


Le lecteur moyen est donc habitué à se faire guider dans ses réactions, moins par des ordres (que les slogans ne se privent pas de lui donner) que par des exemples, de la façon la plus visible et concrète, dans le monde des médias, comme jadis dans les contes, avec leurs drames, leurs images dorées, leurs personnages bons ou méchants, leur langage répétitif.

Voilà dans quoi il est donc recommandable de traduire tout ce qu'on a à dire, si l'on veut se faire entendre. Les réactions, personnelles, de chaque auditeur, empruntant le chemin communal, sont d'autant plus prévisibles. Il devient même relativement facile de les susciter. Par exemple, l'auditoire probable récuse-t-il les bons sentiments, pensez-vous?
--- C'est une personne qui a été durement éprouvée. Son mari est tombé malade et son commerce a périclité. --- ________
1 Quand même!
2 Décidément...
3 ça, alors!
4 Ah, là là...
Réaction 4


Le «bon public» ne fait spontanément rien d'autre que de se contenter d'exprimer de bons sentiments. Le pathos précisément consiste à jouer cette carte trop facile. Il ne suffit pas de tabler sur une réaction de surface qui manifeste «le moi psychologique», sensible à tout ce qui fait du bien et qui ne fait pas de mal (autant écrire pour les collections Arlequin ou Colombine). L'écrivain dans son texte peut davantage. Il peut notamment vouloir susciter des réactions adaptées à une situation.
Levant la tête, un jeune homme croise du regard une jeune fille qui, de sa fenêtre, l'observait. Elle détourne aussitôt les yeux. Quelle réaction pensez-vous qu'il puisse avoir?
1 Se sentir intéressant.
2 Etre déçu de n'avoir pu échanger au moins un sourire.
3 Faire des projets de rencontre.
4 Se demander pourquoi elle a évité son regard.
Réaction 5


On se doute que le contact avec un public réel, comme par exemple au théâtre (par opposition au cinéma), ou dans une salle de conférence (plutôt qu'à la télévision), fera toute la différence pour le déroulement du texte puisque c'est de la réaction obtenue dûment constatée que dépend alors la suite des événements communicatifs.
Le prétendant, un valet déguisé, n'a pas eu l'heur plaire à la fille de la maison. Elle croit se confier au valet. SILVIA --- Est-ce que ton maître s'en va? Il n'y aurait pas grande perte. DORANTE --- Ni à moi non plus, n'est-il pas vrai? J'achève ta pensée. SILVIA --- Je l'achèverais bien moi-même, si j'en avais envie; mais je ne songe pas à toi. DORANTE --- Et moi, je ne te perds point de vue. (Marivaux, le Jeu de l'amour et du hasard, II, 9)
1 Double négation. Cela équivaut à une affirmation: lui, il songe à elle...
2 Dorante ne contredit pas vraiment Silvia car il sait que son indifférence est feinte. (Synonymie inversée.)
3 Il montre qu'il a compris l'inverse de ce qui vient d'être dit (sens opposé) et répond sur le même ton.
4 Il prend la balle au bond, se saisit de la réplique pour redire son amour.
Silvia se vexe qu'on puisse penser qu'elle aimerait le valet. LISETTE --- Oh! Madame, dès que vous le défendez sur ce ton-là, et que cela va jusqu'à vous fâcher, je n'ai plus rien à dire. SILVIA --- Dès que je le défends sur ce ton-là! Qu'est-ce que c'est que le ton dont vous dites cela vous-même? Qu'entendez-vous par ce discours? Que se passe-t-il dans votre esprit? (Marivaux, le Jeu de l'amour et du hasard, II, 7)
1 Le ton réservé de Silvia montre qu'elle ne peut pas dire tout ce qu'elle pense (ton contraint)
2 En allongeant certaines voyelles finales, Silvia laisse entendre qu'elle ne dit pas tout (mélodie allusive).
3 Elle exprime une juste colère (indignation).
4 Elle cherche à se disculper en accusant (récrimination rhétorique).
Réaction 6


Dans les pièces de Marivaux, toute l'action est suspendue aux nuances des sentiments réciproques qui naissent et meurent sur les lèvres des partenaires. Une telle intuition, psychologique, qualifiée aussi de féminine, est une des découvertes que notre littérature doit au siècle des Lumières.

L'esprit critique.

Sympathiser suffit-il? Tout comprendre ne requiert-il pas de fermer les yeux? N'est-ce pas le moment, au contraire, de faire naître et de développer un esprit «critique»?
Un économiste employé par le Gouvernement fédéral déclare: "Le salaire annuel moyen du Montréalais est de 16 000 $". Quel devrait être mon premier mouvement critique?
1 Je cherche d'autres études qui confirment ces résultats.
2 Je tente de déterminer la composition de l'échantillon.
3 Je considère les conséquences de cette information.
4 J'identifie les intentions et les intérêts du gouvernement fédéral.
Réaction 7


Toute la valeur d'un sondage tient à la composition de l'échantillon. La réalité est toujours délimitée. Il importe de préciser ces limites. Et pas seulement par rapport aux chiffres..
Un enseignant, dans un cours d'initiation à l'économie, déclare: "Il va de soi que la notion économique de profit n'intervient pas dans un système oligarchique". Quel est votre premier mouvement critique devant cette affirmation?
1 Demander une définition d'oligarchique.
2 Chercher quelles sont les intentions du professeur.
3 Évaluer les postulats.
4 Examiner les conséquences.
"Eh bien, Louise, je suis un homme de culture et non un homme de nature, voilà tout!" s'exclame dans une entrevue familière un auteur connu. Quel est votre premier mouvement critique envers cette affirmation?
1 Étudier les conséquences.
2 Définir les termes.
3 Préciser les intentions du locuteur.
4 Examiner les prémisses de cette affirmation.
Réaction 8


Le contenu d'un cours ou d'un livre étant, en principe, une système cohérent, c'est-à-dire un ensemble organisé de concepts, il est nécessaire de préciser comment sont définis les termes clés, si nous voulons en pénétrer la dialectique et évaluer la thèse. Les mots rares, il n'est pas difficile d'en réclamer la définition. Les mots courants aussi ont besoin de faire préciser les concepts qu'ils recouvrent.

Au-delà des mots, il y a les conséquences; en deçà, les intentions, mais aussi les méthodes.
Un vulgarisateur scientifique bien connu affirme: "Il semble que l'astrologie soit née du peuple. Les paysans constatèrent, par exemple, que les plantes qui poussent à certains moments de l'année ont des caractéristiques propres; il devait en être de même pour l'homme." Quel devrait être le premier geste critique envers cette hypothèse?
1 Déterminer la méthode qui a permis d'échafauder cette hypothèse.
2 Examiner les conséquences éventuelles d'une telle hypothèse.
3 S'interroger sur les raisons particulières qu'il aurait à prendre cette position.
4 En vérifier le bien-fondé.
Réaction 9


En se replaçant dans les conceptions historiques, toutefois, on sera amené à souligner davantage le lien de l'astrologie avec une conception créationniste (Le Tout-Puissant trônant ès nuées, les astres sous ses pieds, et le Souverain Juge, son fils, réglant leurs mouvements et par cette entremise tous ceux de la nature, comme il est décrit au Livre du trésor de Brunet Latin -- Jeux et sapience du Moyen-âge, pléiade, p.733 -- ou dans le Mysterium Magnum de Jacob Böhme).

Mais qu'est-ce que l'esprit critique? Faut-il rejeter toute naïveté, toute confiance et toute déférence? La raison est-elle une norme? Ou n'importe quelle raison justifiera-t-elle?
Réaction 10


Le XVIIe siècle, avec Locke, Descartes, Malebranche, Leibniz, le XVIIIe avec Voltaire et les encyclopédistes, le XIXe avec Kant, Hegel, Darwin, le positivisme... ont établi solidement une tradition de réflexion où les sciences, qui se caractérisaient par des «idées claires», ont joué et jouent encore un rôle prépondérant. S'y fier serait d'une rationalité dérisoire (si c'est par l'argument d'autorité). Mais c'est la réflexion comme telle qui a une valeur incontestable.
Un ouvrier nouvellement engagé interroge un ancien sur la croissance des salaires depuis dix ans. Quelle serait l'attitude envers les propos de l'ancien qui permettra au nouveau la plus grande objectivité?
1 Enregistrer l'information avec l'idée de la vérifier.
2 Maintenir un doute raisonnable.
3 Faire la synthèse et en conserver une impression générale.
4 (Autre chose)
Réaction 11


Il y a bien des types de réflexion et aucun ne prévaut sinon par choix ou suivant le résultat, selon les critères déjà mentionnés. Rien n'oblige à conclure du reste. Discerner le pour et le contre, c'est avoir le sens des nuances.
En criant dans les rues Québec libre / De Gaulle l'a dit, les indépendantistes de 1968 étaient-ils en accord avec la pensée de René Lévesque?
1 Oui, car celui-ci s'était déjà orienté vers l'indépendantisme.
2 Non, car René Lévesque était encore député libéral.
3 Non, car c'était des manifestations d'appui au premier ministre d'alors (Johnson, Union nationale).
4 Oui et non. Lévesque était pour l'indépendance mais contre les appuis extérieurs.
Réaction 12


Remarque Les juges sont bien placés pour devoir juger et leurs principes ne peuvent être inclus entièrement d'avance dans les codes, civil ou pénal. Il y a aussi, comme importante source du droit, la jurisprudence, c'est-à-dire le recours à l'autorité des juges qui ont déjà eu à traiter de questions semblables. Consulter les sources mais juger soi-même... Le fait de s'appuyer, dans un raisonnement, de façon inconditionnelle sur l'autorité d'une ou de plusieurs personnes reste une erreur de raisonnement, du fait que c'est une absence de raisonnement.
Le recours à l'autorité peut prendre plusieurs formes. Lequel des arguments suivants ne relève pas de ce type d'erreur?
1 Mon expérience de la littérature me pousse à soutenir que, malgré les apparences, ce livre est tout de même un roman.
2 Les prises de position de plusieurs de mes professeurs me permettent d'affirmer que ce livre est bel et bien un roman.
3 Mais bien sûr que c'est un roman! C'est bien ce que l'éditeur fait paraître sur la couverture, non?
4 Ceci est un roman, sans doute, car c'est à ce titre que Julia Kristeva l'étudie.
Réaction 13


L'auditeur dans le texte est donc passif mais disposé à s'activer pourvu qu'on tienne compte de ses préjugés et qu'on le guide pas à pas. Que peut faire l'auteur, lui qui, au départ, appartient peut-être au même milieu, est habité des mêmes préjugés...

L'auteur dans le texte.

Si la textualité est intersubjective, si c'est dans le lien entre le texte et les réactions probables du lecteur que se situe le «travail», l'auteur est moins la cause directe, magistrale et magique, du texte que la scène sur laquelle se joue une sorte d'échange, collectif.

Quel comportement l'écrivain (vous) va-t-il adopter? Se placera-t-il en face de son public sur une estrade ou sur un pied d'égalité? Mais aussi, que pense-t-il de lui-même, ou plus exactement : que pense-t-il que ses lecteurs penseront de lui (pour tenir compte de la dimension perlocutoire)?
Michèle dit: "Je ne suis pas intelligente car je ne suis pas allée à l'université". Quel est le défaut de ce raisonnement?
1 Une généralisation hâtive.
2 Le préjugé.
3 Un appel à l'autorité.
4 Un appel à la majorité.
Réaction 14


L'extrême opposé, la confiance en soi poussée jusqu'à la vantardise, les rodomontades, cela sonne généralement faux et n'incite qu'à la défiance. Mais ce ne sont pas les diverses formes de l'effacement de soi, qui y remédient.
Qui laisse une trace, laisse une plaie. Cet aphorisme d'Henri Michaux dans Face aux verrous joue surtout sur la dimension _____ du texte littéraire.
1 personnelle (C'est l'idée de la fragilité de la nature, chère à Jean-Jacques Rousseau.)
2 affective (La souffrance est dépeinte comme aimée: masochisme.)
3 temporelle (Le fuyard sera rejoint, on le voit déjà blessé: hystérologie.)
4 du destinataire (On est inquiet de le blesser rien que par une trace laissée: le contraire du sadisme.)
Réaction 15


On n'ose être soi par peur de l'opinion du plus grand nombre. L'appel à la majorité est une forme démocratisée de l'appel à l'autorité. Cette crainte naturelle incite au refoulement des manifestations de soi trop personnelles. Tout se passe comme si n'importe quelle solution particulière, du seul fait qu'elle prédétermine, fausse le résultat. La question est d'autant plus actuelle que l'on voit des «fondamentalismes», de tous les azimuts, s'efforcer de prendre le pouvoir politique.

L'esprit critique consiste-t-il alors à se défier, à nier les extrêmes (ninisme)? Mais alors, est-ce le moi qui est au centre de tout? Au contraire, car il faut se défier de lui par dessus-tout, à en croire les classiques (relire les Maximes de La Rochefoucault)!

Certes, il y a des valorisations religieuses ou politiques de l'effacement de soi: l'abnégation, le don de soi, le sacrifice de sa vie. "Dieu" ou la société exigent-ils d'aller jusque là pour assurer leur puissance? Ou peut-on croire que ce genre de choses nous est proposé pour notre propre bien, notre réalisation de nous-même en tant que figure exceptionnellement, héroïquement dévouée? La situation générale est-elle si catastrophique que seul un anéantissement personnel permette au reste de l'humanité de survivre (sans nous)?
Réaction 16


Il faudrait penser énormément de mal du monde et des autres pour se croire obligé de les fuir définitivement et pour être prêt à donner jusqu'à sa propre vie afin d'échapper à tant de misère.

Heureusement, sortir de ses inhibitions (idées qui sont en nous mais passivement car elles sont celles de presque tous dans notre milieu) est relativement simple, en principe. Il s'agit d'affirmer sa liberté et notamment son droit à la libre pensée, "au libre examen". Est-ce la révolution? Non. On va tout de même continuer à subir le poids des traditions et de la supériorité du reste du monde. Ce qui importe, c'est de savoir que le recours à l'autorité et à la tradition ne sont pas des raisonnements. Et de se mettre à utiliser sa capacité de penser.

Comment échapper aux diverses formes des préjugés?
Réaction 17


En les identifiant un à un, au moment où ils surgissent. Le préjugé est une inhibition. Il se dresse pour interdire. C'est une opinion préconçue favorable ou défavorable à une personne ou à un groupe (ex.: les minorités ethniques). Toutes les composantes sociales transmettent des préjugés, véhiculent des partis pris: la famille, l'éducation, le milieu de travail, le milieu social, l'époque. Il y a le préjugé bien reçu et mal reçu. Si l'on y fait appel, mieux vaut qu'il ne soit pas trop visible... En effet, --- racial ou autre --- il est préjudiciable au plan éthique (moral); au plan logique, sans valeur; au plan humain, sans intérêt; au plan commercial, souvent rentable, à court terme seulement. Exemple.
Pourquoi dit-on que les universitaires sont toujours à côté de la question?
1 Faute de savoir approfondir autant qu'eux.
2 Parce qu'ils répètent sans cesse qu'il faut nuancer.
3 Parce qu'il leur faut au minimum dix minutes ou trois pages.
4 On ne dit pas cela. On les écoute, au contraire.
Réaction 18


Certains thésards croient se prémunir de tout préjugé en mettant des guillemets partout. Ils ne s'engagent pas puisqu'ils ne font que rapporter les propos des autres.
Je ne suis absolument pas d'accord. ________ je perds mon temps. Mais qu'est-ce que gagner son temps?
1 D'après Yves,
2 Si l'on en croit Yves,
3 Aux dires de Yves,
4 Yves prétend que
Réaction 19




L'auteur peut se désengager peu ou prou des propos qu'il rapporte. C'est le degré d'engagement. Convaincu, l'auteur s'engage au contraire personnellement. Il se sent concerné par les détails de la question. On peut même sentir de la colère. Exemple.
À l'Office de protection du consommateur, un fonctionnaire vous traite sans aucun égard et, de plus, a mal effectué son travail. En repensant à son comportement, il vous vient une idée. Dans laquelle des quatre formulations suivantes votre agressivité momentanée s'exprime-t-elle le plus nettement?
1 Il y en a à qui il suffit d'occuper leur poste pour croire qu'ils remplissent leur fonction.
2 Certains se croient capables uniquement parce qu'ils occupent un poste.
3 La fonction ne crée pas la compétence.
4 Il ne suffit pas d'avoir un emploi pour échapper à l'incompétence.
Réaction 20


Mais il n'y a pas que les humeurs et les préjugés qui peuvent encombrer la scène du texte. Il faut aussi se demander au nom de quoi ou de qui l'auteur s'autorise, se donne l'autorité, c'est-à-dire comment, à ses yeux, se justifie que lui, simple individu, s'élève jusqu'à adresser à tous sa parole. Très souvent, il s'autorise de quelqu'un ou d'un groupe dont l'auditoire ne conteste pas l'autorité.

Le mandateur implicite.

Au coeur de tout acte de parole, il y a naturellement une personne qui en est l'auteur, quoique ce soit comme ouvrier, manutentionnaire des données, mais il y a aussi une instance "qui donne la parole", qui autorise (rend auteur). Celle-ci peut prendre trois formes : celle d'une voix intérieure (le «locuteur intime»), celle d'une attente extérieure (quand la présence de l'interlocuteur appelle le texte) ou un tiers. De là découlent le je, tu, il, car les trois personnes du verbe sont à l'image du réel.

Le mandateur peut se dégrader dans des images traditionnelles, dans les interactions ou dans les angoisses. Il se trouve dans l'actuel de tout acte, pas seulement de parole : à la fois toujours nouveau et toujours le même, antérieur aux spécifications, existence pure. Toute particularisation le dégrade : elle signale une visée autre. Si c'est un tiers qui sert de prétexte, l'acte sera mal perçu. C'est le cas des slogans. Si le prétexte est seulement le locuteur dans sa subjectivité, l'acte sera révoltant. Si l'on cherche à rejoindre l'allocutaire à tout prix, l'acte est avilissant, pure obséquiosité. Le meilleur mandateur est une visée sans spécificité, qui réunit les deux interlocuteurs qui s'y soumettent, s'ouvrent à lui, y trouve (éventuellement) leur accord.
«Cieux, écoutez, Terre, prête l'oreille, car Iavhé parle» écrit le prophète Isaïe (1,2).
1 Il met en scène la divinité s'adressant à tout l'univers.
2 Il avertit le peuple d'Israël (et son roi, Ézéchias) que les condamnations qu'il va proférer émanent de Iavhé en personne.
3 Il donne du poids à son discours.
4 Il rend son discours grandiose.
Cocteau: «Victor Hugo était un fou qui se croyait Victor Hugo». Quel personnage connu ne se prend pas un peu pour un autre qui serait lui?
1 Normal. On se voit par les yeux des autres.
2 Mieux vaut se voir comme on est.
3 Woody Allen: Oui, et on est surtout constitué de divers complexes...
4 Mieux vaut ne pas se poser ce genre de question.
Réaction 21


C'est tout à fait le moment de rappeler l'étymologie du mot personne, ce qui résonne à travers (à travers le porte-voix inséré dans le masque de tragédien, à l'époque d'Eschylle). Que celui qui parle en nous ne soit nous que parce que nous lui frayons un passage, que la personne ne faisait que prêter sa voix comme un masque, voilà qui était déjà parfaitement connu des Grecs et les théoriciens du théâtre contemporain n'ont fait que le réinventer. Englobant l'auditoire et le prévenant par une sorte d'appel à un inconscient collectif de connivence, le mandateur, implicite ou explicite, prend possession de l'échange verbal. Il l'autorise à sa façon (caprice personnel, affection familiale, intérêt tribal, expression régionale, identification nationale, vanité sociale, avenir mondial, problème universel ou élan vital...) Les appartenances sont multiples et pas toujours distinctes. Ou bien, elles prennent la parole tour à tour, comme au théâtre. «Ô saisons Ô château / Quelle âme est sans défaut» chante le poète (Arthur Rimbaud).
«Dites la vérité l'un à l'autre. / Du mal l'un contre l'autre / ne méditez pas en votre coeur / Oracle de Iahvé!» (Zacharie, 8, 16-17) Terminer ses objurgations par un Oracle de Yahvé! retentissant, c'est ______.
1 rappeler que le mandateur est le Tout-Puissant
2 donner la garantie absolue requise à la valeur du texte
3 s'effacer devant l'importance de son discours
4 imposer silence et obéissance à son public
Réaction 22


Pour atténuer les effets de l'inconscient collectif en soi et dans le public visé, ce qu'on peut tenter, au moins, c'est de tenir compte des idéologies latentes.

Considérer l'idéologie implicite.
Début de discussion diplomatique. Un haut fonctionnaire, porte-parole de son gouvernement, déclare: "Nous voyons l'avenir essentiellement comme une lutte idéologique entre l'Est et l'Ouest, entre le monde libre et l'expansionnisme communiste". Quel sera votre premier mouvement critique devant cette déclaration?
1 Préciser les intentions et les intérêts de ce pays.
2 Évaluer les conséquences de cette vision politique du monde.
3 Partager l'avis d'une administration compétente.
4 Regretter l'absence d'un axe Nord-Sud (contraste entre riches et pauvres).
"Le vol à l'étalage est un fléau pour la société." Cette proposition assertive ________.
1 est un lieu commun
2 appartient au discours idéologique
3 est le signe d'une préoccupation morale
4 est une constatation objective
Au téléjournal: "Affrontement sanglant à l'université Concordia. Un groupe de manifestants favorable à l'ayatollah Khomeiny a été pris à partie par un groupe opposé au régime actuel en Iran". La meilleure façon de considérer le problème, ce serait ________.
1 d'étudier la position politique des partisans et des opposants à l'ayatollah Khomeiny
2 de tenter d'évaluer les intérêts de classe et les valeurs idéologiques de chacune des factions
3 de prendre position contre le régime actuel en Iran
4 de prendre position pour l'ayatollah Khomeiny
Réaction 23


L'idéologie est facile à déceler : par son excès, son statut indiscutable, mais surtout par le décalage de son contenu apparent et des visées réelles de ceux qui s'en servent. C'est dans les bars des colonies qu'on entendait le plus parler de «notre belle civilisation occidentale» (Cf. Hergé, Tintin au Congo).

Notons les caractéristiques de quelques idéologies.
Révolutionnaire (idéologie ---). L'action a pour objectif de s'emparer du pouvoir par tous les moyens, d'éliminer les dirigeants actuels et de modifier complètement le fonctionnement, politique ou autre. Le terrorisme y met l'énergie du désespoir.
Réactionnaire (idéologie ---). Le réactionnaire n'est pas celui qui réagit devant les abus du pouvoir : c'est celui résiste, passivement ou par l'appareil de l'État, à l'action (révolutionnaire s'entend). C'est donc une sorte de contre-révolutionnaire. Il ne craint pas de refuser le progrès qui sert de prétexte à l'action.
Conservateur (idéologie du ---) Le conservateur refuse aussi la révolution mais il n'est pas contre l'évolution. Il voit le progrès comme compatible avec le maintien de l'ordre social, des idées et des institutions actuelles... Il se dit prêt à envisager certains changements, cherche à gagner du temps, pour garder les rênes.
Fasciste (idéologie ---). Les différentes formes de fascisme veulent instaurer un ordre nouveau dans les intérêts d'une seule classe sociale, au nom de la toute puissance de l'État ou de la Nation.
Paternaliste (idéologie ---) Le paternalisme réserve l'autorité au patron «pour le bien de tous».
Pacifiste (idéologie ---). Le pacifisme croit régler les conflits en évitant l'affrontement.


Les idéologies ne sont-elles présentes que dans les discours des idéologues?
Prenons une phrase simple. "La terre tourne autour du soleil." Le sens de cette assertion ________.
1 est indépendant du contexte
2 est lié à l'astronomie et aux recherches de Galilée
3 dépend des intentions de son énonciateur
4 dépend des circonstances de son énonciation
Réaction 24


Non. Elles sont glissées sous les phrases les plus anodines, et nous le faisons comme malgré nous, mandatés insidieusement par d'innombrables imitations.

Une fois l'inhibition collective reconnue, il devient possible de la contourner et de réduire l'événement à des proportions telles qu'on puisse y faire face victorieusement. C'est ce que la psychologie appelle objectiver.

Objectiver.

On l'a vu, objectiver, c'est tout autre chose que supprimer le sujet. Qu'entend la psychologie par ce mot?
Mimi, 5 ans, dit à son père: "J'ai vu maman embrasser notre voisin, M. Chabot". Quelle devrait être, selon vous, la réaction du père?
1 Mettre Mimi en pénitence pour mouchardage.
2 Examiner les conséquences de ce geste sur son ménage.
3 Attendre le retour de sa femme et l'interroger.
4 S'interroger sur les habitudes et le comportement de Mimi.
Réaction 25


Inutile de laisser libre cours à ses angoisses quand on réagit : objectiver permet de ramener le problème à ce qu'il est pour les autres, évite de donner prise à des nouveaux ennuis. En se plaçant du point de vue de Mimi, son père, dira le psychologue, se montre objectif en évitant de fantasmer.

On peut observer qu'il doit aussi faire plus que seulement se mettre entre parenthèses afin de réduire ses appréhensions : il doit comprendre sa fille (et sa femme aussi du reste). Pour cela, il lui faut tenter de se mettre à sa place, subjectivement. Il peut se douter que tout être personnel, que ce soit sa femme, M. Chabot ou Mimi, est comme lui un sujet engagé dans des situations intersubjectives. C'est à partir de sa propre subjectivité qu'il lui est donné de deviner les leurs, «intuitivement».

Le terme choisi par le psychologue est donc empreint d'une certaine dénégation de type moralisateur plutôt qu'enrichi aux nécessités de la vie en société. C'est par le contact avec d'autres que l'intuition prend son essor.
Vous êtes le propriétaire d'une taverne, et votre barman vous prévient que Georges, l'un des serveurs, vend de la drogue à l'intérieur de votre établissement. Quelle attitude pensez-vous devoir adopter?
1 Prévenir la brigade des stupéfiants.
2 Renvoyer le serveur.
3 Évaluer les conséquences de ce trafic illicite.
4 Solliciter d'autres témoignages au sujet de cette accusation.
Réaction 26


Se défier de sa promptitude, s'assurer de ce qu'on croit, est-ce perdre du temps? Au contraire. On évite les dissensions contournables. Encore faut-il tirer des participations diverses ce que chacun est disposé à y apporter, et deviner ce que pensent les témoins ou les autres intervenants. Déceler la part du mandateur dans les témoignages, par exemple. D'où souffle le vent? D'où vient ce que l'on cherche à nous faire croire? Que valent les visées implicites?
Un magazine vous envoie une lettre personnelle annonçant votre nom comme celui de l'un des vainqueurs de leur sweepstake. Il est toutefois spécifié en caractères minuscules que votre prix ne vous sera versé que plus tard, si vous vous abonnez, et après un tirage au sort. Furieux, vous leur retournez leur lettre avec la mention: Si vous ne preniez pas les gens pour des idiots, vous ne feriez pas de publicité.
1 Réaction infantile. En vous abonnant, vous auriez saisi votre chance.
2 Ces méthodes ne méritent pas d'autre réaction.
3 Humour fatidique.
4 Cynisme.
Réaction 27


Le plus simple est de ne pas même regarder la publicité trop prometteuse et donc nécessairement mensongère. Mais qui se laisse encore prendre, aujourd'hui, à de la publicité? Toutefois, il n'y a pas que les marchands qui en font. Certains se consacrent à la leur personnellement.
Tandis que sa femme et sa fille viennent de sortir du restaurant chinois, le jeune cadre européen confie au garçon (un Asiatique): "Elles voulaient empocher le chandelier. Je les en ai dissuadées". Que faut-il penser de son attitude?
1 Preuve d'honnêteté de sa part.
2 Vantardise, probablement fausse d'ailleurs.
3 Connivence masculine.
4 (Autre chose)
Réaction 28


Les préjugés, opinions généralement reçues dans un milieu donné, ne sont-ils pas largement inconscients? Être prêt à se remettre en question est un remède bien théorique, qui fait de l'individu un reflet sans fond. L'ouverture est une condition préalable plus qu'une garantie. Éviter l'erreur inconsciente du groupe, ce n'est encore qu'éviter une des erreurs possibles. Pour que la vérité puisse se frayer un chemin, il faut à la fois que l'on puisse tabler sur l'ensemble de son passé et de son milieu mais aussi qu'un point de vue commun aux intervenants, sinon aux absents, puisse être ébauché. Ainsi, dans l'exemple ci-dessus, toute la famille s'intéresse à la Chine : même la mère et la fille, à leur manière, pour emporter des «souvenirs». Malheureusement, aucun des intervenants ne parvient à adopter un point de vue commun à tous. Par exemple, le point de vue du serveur est négligé.

L'intérêt de cette saynette est de poser sous forme d'actions et de personnages les valeurs dont l'écrivain veut pouvoir discuter en vue de les faire évoluer, dans son milieu. C'est l'amorce d'un roman.

Comportement et valeurs.

On se demande parfois d'où vient l'intérêt passionné que peuvent susciter les oeuvres romanesques (au milieu de l'océan d'indifférence qui les ensevelit l'une après l'autre, à de rares exceptions près).
Vous répondez au téléphone. --- Allo? --- La Banque d'Epargne? --- Quel numéro appelez-vous? --- Est-ce que c'est la Banque d'Epargne? --- Non, non. Quel numéro appelez-vous? --- Bon, merci. (Il raccroche) L'inconnu n'a pas répondu à votre question. Pourquoi?
1 Il était peut-être dur d'oreille.
2 Il n'était pas d'humeur aux confidences.
3 N'avait pas le temps.
4 (Autre chose. Dites quoi...)
Réaction 29


Il semble que la question essentielle, posée à tout un chacun quelles que soient ses attaches, soit celle de ce qui compte à ses yeux, de ce qui motivera ses réactions, cette pente qui l'entraîne à faire des choix, existentiels ou journaliers, et qui finit par le former dans son originalité, sa particularité. On découvre dans les yeux des autres ce dont on n'avait pas même conscience.
Å l'heure du déjeuner, le contre-maître, longeant le mur extérieur des ateliers, aperçoit un apprenti qui examine attentivement une fenêtre latérale. --- Pourquoi vous occupez-vous de cette fenêtre?" --- "________". Quelle est la réponse de celui-ci qui donnera le moins de prise aux soupçons?
1 Je... Je... Qu'est-ce que vous allez imaginer!
2 Elle laisse passer des courants d'air.
3 ça vous regarde?
4 Ben, je ne sais pas, moi... Comme ça...
Réaction 30


Le bien et le mal ne sont jamais loin dans les interactions humaines. Chacun tient à proposer une image valable sinon à être aimé et compris, tant soit peu ou comme tout le monde.

À la limite, cette image de soi peut obscurcir (ou éclairer) toute une vie. Celle que nous supposons des autres nous permet de les condamner (ou de les admirer).
C'est l'hiver. Vous êtes au restaurant. Tout à coup, à la table voisine, une dame qui avait l'air respectable mais qui avait discrètement enlevé ses chaussettes, s'empare du poivrier et les saupoudre abondamment.
1 Vous vous demandez quel effet le poivre peut bien avoir dans des chaussettes.
2 Vous êtes scandalisé par son manque de savoir-vivre.
3 Vous pensez que c'est une folle.
4 Vous songez à appeler le garçon pour la faire rappeler à l'ordre.
Réaction 31


L'utilité des préjugés, quand on en prend conscience, c'est de lancer une remise en question des valeurs. Les valeurs ne sont pas des entités immuables : elles dépendent autant de l'auditoire que de l'auteur, et même, elles peuvent se modifier progressivement durant l'échange. Les idéologies ne leur fournissent qu'un point de départ. Le mandateur implicite les inflige mais on peut sauter d'un mandateur à un autre. La défiance générale que suscitent les valeurs, même seulement civiques, a fortiori religieuses, provient sans doute de leur caractère conquérant. Et, en effet, ne risquent-elles pas d'aiguiser les oppositions? Ne sont-elles pas à l'origine des dissentiments, voire des querelles et même de guerres?
Réaction 32


Sans doute, mais le dialogue est tout de même la seule issue, et il est souvent prometteur. Que le discours de l'autre soit bien ou mal compris, on voit se former et prendre place, au fil des réparties, deux images mutuelles qui peuvent mener loin (ou nulle part). L'évolution des situations ne se fait pas, cependant, au petit bonheur. Elle suit une sorte de cheminement qui se crée de commun accord quoique certaines personnes préfèrent le voir déterminer à l'avance.

Valeur de la formulation.

La cause commune en gestation est résolue d'avance quand elle s'enracine dans le langage lui-même, comme on l'a étudié en pragmatique du discours. Il y a une part de convention quasi rituelle dans certaines formules, les relations ont comme des rouages établis, qui ne diffèrent que si l'on change de civilisation ou du moins de milieu.

Le palais de justice est un lieu privilégié de rigidité des formules «performatives». La fonction de juger au nom de «la loi» (texte où sont résolus d'avance les conflits) entraîne des conséquences sociales et parfois physiques inéluctables. C'est l'exemple le plus flagrant d'acte de parole dont la vertu consiste à effectuer le jugement «prononcé».
Quelle serait la meilleure version de la phrase suivante? "Alors, le juge déclara: ________ responsable la compagnie."
1 Le tribunal en vient à la conclusion qu'il faudrait rendre
2 Finalement, le tribunal rend
3 Le tribunal en vient donc à la conclusion qu'il faut rendre
4 Le tribunal en vient à la conclusion qu'il faut rendre
Réaction 33


Il y a toutes sortes de degrés dans l'effectuation qui accompagne certaines paroles. On l'a vu plus haut (pragmatique), Austin voit cinq catégories de performatifs : les verdictifs comme évaluer, établir, décréter, apprécier; les exercitifs comme nommer, excommunier, exhorter, ordonner; les promissifs comme promettre, envisager de, parier, consentir; les comportatifs comme s'excuser, remercier, congratuler, boire à la santé de; les expositifs, enfin, les moindres : affirmer, décrire, commencer par, conclure, formuler.

À quoi peuvent nous servir ici ces catégories pragmatiques?
Réaction 34


Il faut voir que le passage des idées aux situations intersubjectives qui remet en selle les valeurs arrache le texte à l'abstraction et le transforme en outil de l'acte conjoint. Le performatif est moins un phénomène linguistique que social. L'institution établie et communément admise crée et maintient la valeur de la formulation comme telle. Ainsi, excuse, précaution ou avertissement ont en commun d'annoncer qu'on va à l'encontre de ce que le public attend ou souhaite. Dans l'excuse, on reconnaît son tort; dans la précaution, on s'explique d'avance; dans l'avertissement, on prépare le public à se faire heurter.

Mais déjà la raison elle-même est présente constamment dans les comportements et les valeurs.

Valeur de la raison.

Outre la présence de codes de comportement, les valeurs intersubjectives d'un texte particulier dépendent de ce qu'on appelle la raison.
Un éminent professeur de physique théorique déclare: "Pour résumer ma conférence en une formule simple, je dirais que la force qui nous retient au sol n'est pas la gravitation mais une force qui pousse sur nos épaules". Quelle serait la réflexion la plus appropriée?
1 Il n'a pas compris ce que Newton a démontré en 1697 (le principe de la gravitation universelle).
2 Il s'oppose à l'expérience commune élémentaire.
3 Cette conclusion demande à être démontrée davantage.
4 Cette idée est contraire au bon sens.
Un mathématicien russe, N.I. Lobatchevski, présente une géométrie construite, non sur le postulat d'Euclide, mais sur celui-ci: "Par un point hors d'une droite, on peut mener deux parallèles à cette droite". Quelle serait la réflexion la plus appropriée?
1 La géométrie d'Euclide est juste, et efficace; pourquoi en faire une autre?
2 Cette géométrie russe est contraire au bon sens.
3 Elle demande à être démontrée.
4 Elle est contraire à l'expérience commune élémentaire.
Quelle est l'affirmation la plus justifiée?
1 Ce doit être la bonne réponse, c'est ce que soutenait le professeur.
2 Ce doit être la meilleure hypothèse. Tes arguments me semblent convaincants.
3 Ce doit être la meilleure oeuvre de Ducharme. Tous les critiques l'affirment.
4 Indéniablement, il a fait le meilleur choix. Après tout, c'est lui le spécialiste!
Quelle est la demande la mieux fondée?
1 Je voudrais un nouveau coffre à crayons parce que toutes mes amies en ont!
2 J'ai besoin de meilleures genouillères; je suis le seul de mon équipe à avoir encore ses vieilles.
3 J'ai besoin de lunettes spéciales pour les sports de raquette. Ainsi je pourrai éviter des blessures moi aussi.
4 Passe-moi ta calculatrice de poche pour mon examen de maths. Tout le monde en a, donc j'en ai besoin moi aussi.
Réaction 35


Mais s'il est bon d'employer sa raison et de se fier même à ses sentiments personnels et à son jugement, cela ne veut pas dire que l'on puisse imposer son point de vue: il faut encore (et toujours) convaincre.
"Ce que je dis est vrai car si ce n'était pas vrai, je ne le dirais pas." Cette phrase est-elle rationnelle?
1 Non, car elle repose sur le subjectivisme.
2 Oui, car elle repose sur l'expérience personnelle.
3 Oui, car dans tout raisonnement il faut tenir compte de la bonne volonté de l'individu.
4 Non, car elle fait appel au consensus.
Réaction 36


Convaincre... ou se laisser convaincre. Chercher ensemble... croire au pouvoir de l'intuition collective.

Valeur de ce qui est au delà du conscient.

Depuis Freud, parler de valeur et de sujet ne peut plus se faire sans reconnaître des zones de profondeur plus ou moins conscientes.
Un typographe compose un dictionnaire anglais-français. Arrivé au mot CONSPIRER, il écrit: "s'étendre (pas nécessairement pour un délit)". Que se passe-t-il?
1 Rien de particulier. Il a reproduit le manuscrit.
2 Il y a un lapsus. Il aurait dû mettre s'entendre.
3 Il y a un lapsus. Il aurait dû mettre dans un lit.
4 (Autre chose)
Réaction 37


Dans l'inconscient, il y a des mouvements subjectifs moins contrôlés, plus globaux, comme l'introjection et la projection. Cette dernière est un mécanisme de défense par lequel l'individu localise hors de lui des affects qui lui sont personnels.
"J'achète à rabais, dans le quartier turc, une chemise de cérémonie. Rentré à l'hôtel, je constate que le col est beaucoup trop large et me dis: Ah! ces Turcs! Ils ne savent pas s'habiller! Toujours de beaux vêtements, mais pas ajustés." Une telle remarque ________.
1 est xénophobe
2 est même raciste
3 dénote un ignoble complexe de supériorité
4 est irréfléchie
Réaction 38


Irréflexion ou défaut d'objectivation, confusion entre les autres et soi, jeu d'images. Sommes-nous dans la dépendance de ces jeux d'images? Pour en sortir, c'est l'opposition entre les sujets qui pourrait être vue autrement que comme radicale altérité. N'y a-t-il pas une certaine universalité des idées? Ou, plus radicalement, une identité de liberté dans l'initiative d'un mouvement personnel?
Réaction 39


Dans la mesure où c'est le concret individuel qui existe au présent et se renouvelle, nulle vérité n'est décisive qui ne soit celle de quelqu'un à un moment donné de son existence. Cette individualisation sans cesse recommencée autrement comporte tous les degrés de profondeur de l'inconscient mais aussi la disponibilité de toutes les solutions souhaitables.

Et ce n'est pas tout puisque la communication est intersubjective. Ce qu'il y a à partager se retrouve dans la composition même de l'échange.

Le lecteur dans le texte.

Même dans l'inconscient et l'implicite, le texte garde une présence, celle de l'interlocuteur imaginé. Une des traces de cette présence est le mais, changement de point de vue.
Yolande déclare:... "Voilà. Et si quelqu'un me dit que j'ai tort, je le croirai. Mais il n'y a personne pour m'interdire d'agir comme je l'ai décidé". Dans ce contexte, mais s'oppose ________.
1 à l'idée que Yolande aurait tort
2 à l'hypothèse que quelqu'un lui dirait: tu as tort
3 à ce que quelqu'un tente de lui interdire quelque chose
4 (Autre chose)
Réaction 40


Entre locuteur et public s'instaure donc une collaboration basée sur le désir, d'une part, de convaincre ou du moins d'intéresser, tout en conservant un certain degré d'autonomie, et d'autre part le droit à son quant à soi, qui ne se manifeste pas encore mais qui est déjà présent dans une sorte d'inertie, de sédimentation de tout ce qui a été dit et fait en général, auparavant. Il y a donc place dans le texte pour une position de départ qui serait celle de la majorité des lecteurs potentiels et qui est assez indéterminée. C'est cette masse qu'il faudra animer progressivement en offrant l'occasion d'apprécier ou de faire des choix.
Il fallait que cela fût, car cela était écrit là-haut (Diderot, Jacques le fataliste). Cela était écrit, qui revient dans ce roman à différentes occasions, est _______.
1 une maxime (formule figée qui contient toute une philosophie)
2 un poncif (idée trop usitée)
3 une locution (groupe de mots formant un tout)
4 un refrain
Réaction 41


Le poncif aussi est une présence du lecteur dans le texte : un lecteur un peu borné, dont l'auteur se fait une piètre idée, persuadé qu'il n'apprécie que les banalités éprouvées (en quoi il ne se trompe pas toujours, du reste). Mais c'est plutôt en impliquant progressivement de son lecteur une idée analogue à celle qu'il peut avoir de soi que l'auteur peut établir une communication : en découvrant des terrains d'entente, sinon un fonds commun (la coexistence pacifique, la participation à des sentiments communs, à une même difficulté d'être).

Ajustement à la longueur d'onde.

On se souvient du perlocutoire (V. le chapitre de pragmatique). La présence du lecteur dans le texte, est-ce un phénomène perlocutoire? Quand vous lisez, êtes-vous sensible à la place que vous offre l'auteur comme interlocuteur?
Réaction 42


Cela dépend des textes. En littérature, les possibilités sont énormes. Réduire le lecteur à des réactions instinctives est finalement un mauvais calcul, comme on peut le vérifier dans le succès de scandale de certains titres qui ne résistent guère, par la suite, à l'usure du temps. Le perlocutoire se met en place par l'entremise des actions et des personnages, par une participation à un même monde, par une interaction entre les ethos (les images que peuvent se faire l'une de l'autre les consciences encodante et décodantes). En se figurant son lecteur, l'auteur laisse dans son texte des traces qui vont permettre à celui-ci de se reconnaître. Simplement comme lecteur, certes, mais déjà ainsi ce sera comme individu libre de toutes ses activités de pensée sur et par le texte. Cet effet de liberté, d'aisance, d'ouverture du texte sur le monde et sur soi, il s'obtient en tenant compte intuitivement des personnes lisantes, à l'instar de ce qui se passe dans une conversation pénétrante.

Après tout, un texte ne devrait susciter que ce qu'il mérite.
Par quel bout les Anglais entament-ils leur oeuf à la coque?
1 le petit
2 le gros
3 (N'importe)
4 (Cela dépend)
Réaction 43


Les textes sibyllins, ou trop travaillés, ou pas assez, n'ont donc souvent que l'absence de lecteur qu'ils avaient déjà inscrite entre leurs lignes. Et ce n'est pas hasard que le décodage des réactions possibles passe par la prise en compte des situations évoquées.
Les pacifistes manifestent à Washington contre la course aux armements. Dans l'ascenseur d'un bâtiment public, une inscription a été faite avec des feutres de couleur : I love U.S.S.R. Qui a écrit cela?
1 Un provocateur.
2 Un pacifiste.
3 Un partisan de la paix armée.
4 Un réactionnaire.
Une infirmière, seringue à la main, s'approche d'un malade qui souffre affreusement. Celui-ci gémit: "Vite, vite. Ah! Pourquoi?" On peut comprendre ce Pourquoi? comme ________.
1 une sorte de refus, une protestation
2 une demande d'information
3 une crainte dissimulée
4 de la résignation
Réaction 44


On aurait donc tort, en "prenant la plume", de négliger la prise en compte des situations collectives, comme l'ont vu et systématiquement souligné tant les existentialistes que les structuralistes, voire les post-modernistes.

Mais les réactions attendues d'un lecteur sont aussi liées à ce que le début du texte a pu créer dans son esprit. On peut donc imaginer l'ensemble des actes de lecture comme des échafaudages qui s'écroulent et se réédifient sans cesse, de façon un peu aléatoire, et un peu différemment selon chaque personne.

Pour mieux voir le rôle de l'image de soi qui se projette sur l'auteur et soutient la lecture, on peut remonter à des situations pré-littéraires, où domine l'illocutoire.

L'illocutoire et le perlocutoire du lecteur.

On se souvient que la force illocutoire assigne à l'interlocuteur une action précise.
"Å gauche... gauche!" L'adjudant, en gueulant son ordre, ________.
1 s'attend à une réaction de la part de la troupe
2 s'attend à une réponse de la part de la troupe
3 prétend avoir le droit de faire exécuter son énoncé
4 veut créer pour le destinataire l'obligation de l'exécuter
Réaction 45


Il y a dans l'illocutoire des degrés de force qui sont déterminés extérieurement et peuvent être considérés comme de la violence.
a) Un enfant, à son pére amnésique: "Demain, Papa, tu m'achèteras un bâton de hockey." b) Un patron, à son employé non syndiqué: "Demain, tu déplaceras mon bureau vers la fenêtre." c) Une grand-mère, à sa petite-fille: "Tu m'apporteras une bouillotte." d) Un juge, placidement, à un criminel: "L'exécution aura lieu à six heures demain." Classez ces propositions par ordre décroissant de force injonctive.
1 d, b, c, a
2 b, c, a, d
3 a, d, b, c
4 c, b, d, a
Réaction 46


De la situation plus que du contenu explicite dépend donc le degré de violence. Celle que l'auteur peut exercer contre le lecteur est limitée par la capacité de ce dernier de fermer son livre et de l'abandonner. Mais tout comportement, y compris l'esquive, revêt une violence latente.
A un dîner officiel offert par la reine Juliana. --- M. l'Ambassadeur, pouvez-vous m'indiquer quelle est votre position face à l'invasion de l'Angola par l'Afrique du Sud? --- A combien s'élève, selon vous, M. Petrovitch, la population de l'Angola? Le but illocutoire le plus probable de cette réponse serait de ________.
1 minimiser l'importance de la question posée
2 obliger l'interlocuteur à se mettre sur la défensive
3 gagner du temps
4 changer de sujet
Réaction 47


Avoir abandonné son livre sans que jamais l'auteur puisse le savoir autrement que par un relevé des ventes en librairie ne risque pas de perturber excessivement quelque lecteur que ce soit... La littérature ne risque pas de perdre de sitôt sa qualité d'espace de liberté sans mesure... Comme dit le poète :« Ô vide, espace non stratifié... Ô espace... Espace!...» (H. Michaux).

Et la tâche du poète pourra devenir de libérer précisément de toutes contraintes comme celles de la vie courante, ses interlocuteurs potentiels.

Ici intervient le perlocutoire. On se souvient que s'y nouent les images de soi et de l'autre qui peuvent naître du texte.
Au coin du parc, un vendredi soir, votre copain, victime de la crise, raconte: "L'assistante du gérant s'était montrée plutôt aimable avec moi, hier en partant. Ce matin, je reçois, signée de sa main depuis huit jours, l'annonce de mon congédiement! Elle me croise dans l'escalier et fait semblant de regarder ailleurs..." Comment expliquez-vous son attitude?
1 Le commis a dû la fusiller du regard, d'où l'air gêné qu'elle a eu. Å part ça, elle ne lui veut que du bien puisque d'habitude elle se montre aimable.
2 Sachant que les congédiements sont distribués aux intéressés le matin du vendredi, elle savait que, jeudi soir, le commis ne se doutait de rien.
3 Manoeuvre. Hier, elle voulait le mettre en confiance. Aujourd'hui, elle cherche à échapper à son juste ressentiment.
4 Sincérité. Hier, elle pensait pouvoir se faire pardonner. Aujourd'hui, elle comprend l'étendue du mal qu'elle a causé.
Réaction 48


Pourquoi la sincérité est-elle si difficile sinon du fait de ces violences latentes? Elles expliquent la plupart des mensonges. Rares sont les êtres qui peuvent faire autrement que de mentir pour échapper à leur situation «existentielle». (Ce serait tendre la joue gauche; peut-on le faire sans se victimiser, ce qui attire les bourreaux.)
Sa mère, tremblante de colère, demande à Eugénie qui a ouvert le frigidaire. La coupable, terrorisée, répond: "Ce n'est pas moi". Elle a surtout vu, dans la question, un acte de parole ______.
1 illocutoire
2 perlocutoire
3 performatif
4 locutoire
Réaction 49


De même, un plan trop bien conçu pour entraîner notre conviction pourrait susciter de la défiance chez les critiques. (Ex. Sartre, le Diable et le Bon Dieu). L'astuce des auteurs est de jouer sur ces dimensions, fondamentales mais impondérables.
Paul Morand, dans New York: Un mur de pieux traverse maintenant l'île de part en part, protégeant le bétail contre les incursions des loups et des ours. De ce mur (wall), il ne reste qu'un nom: Wall street; aujourd'hui, le mur est démoli et les loups peuvent entrer. Par cette anecdote étymologique, Morand ________.
1 dénonce la voracité de la haute finance (sarcasme)
2 accuse implicitement (persiflage)
3 joue sur les sens propre et figuré du mot loup (syllepse)
4 fait suivre un récit divertissant d'une réflexion personnelle (épiphrase)
Réaction 50


La littérature -- et l'on comprend maintenant pourquoi tel titre passionne ou indiffère, mais totalement -- est le domaine du moi se faisant désirer par le texte et se laissant aimer. Le lecteur n'a pas besoin d'une parfaite communauté de vues, il suffit d'un minimum de projection (on aime que l'auteur soit aimé quand on peut se figurer être comme lui). Écrire permet ainsi d'affirmer habilement, par l'intermédiaire des personnages, toutes sortes de penchants, même inavouables. C'est le domaine de ce qu'il y a de plus personnel. Et donc, finalement, de plus actuel (n'en déplaise aux journaux parlés).

En communication, la subjectivité est une loi fondatrice. Tout y est comme dans un miroir. La présence implicite de chaque futur lecteur peut rendre généreux le texte égoïste; hypocrite le texte dévoué. Faut-il attribuer ce paradoxe à l'incertitude de plus en plus ironique des philosophies modernes? Ou bien peut-on y voir une propriété révélatrice d'une structure?
Réaction 51


Tout se déroule sur fond de possibles infinis. Ce qui valorise l'échange de répliques est la négation éventuelle. La communication semble le cadre essentiel de toute analyse. De même que dans la musique baroque une mélodie se retrouve inversée dans son propre accompagnement, la lecture peut retourner la signification dernière du texte et toute modification, toute différance, est valorisant, vu le dialogue implicite. La contradiction est plus un effet de la structure que de la malignité, et l'ironie galopante des philosophies contemporaines pourrait sans doute aussi être un effet de cette dimension essentielle. Prendre en compte, dans le texte, le lecteur, ne sert plus seulement à l'amadouer comme en publicité. C'est par le perlocutoire que se concrétise l'intersubjectivité, dans un espace qui est bien celui des personnes en présence par le texte. Ainsi se renouvelle à chaque lecture, malgré la fixité de la formulation, une actualité diversifiée et partagée, unique mais par le temps (unique aussi) de chacun.

Que reste-t-il, alors, de la supériorité des éditeurs et des grands tirages? Le consommateur de livres n'est-il pas annihilé dans la masse, comme c'est le cas dans l'ensemble du circuit commercial mondialisé?
Réaction 52


Oui et non. Subir la loi du plus fort, admirer les auteurs selon leur succès, à cause de la supériorité de leur diffusion ou de leur éditeur, c'est rester à la superficie de la lecture et se réduire soi-même à l'anonymat, se contenter du rang de consommateur passif. Mais on peut aussi, se prenant pour Sainte-Beuve, critiquer les auteurs. Décoder des intentions est subjectif, certes, mais c'est aussi la condition d'une communication d'égal à égal.

Ceux qui "entendent" la mélodie intersubjective décodent, par exemple les degrés de sincérité et de mépris, instinctivement. Exemple. Cyrano peut se moquer de son nez. Il sait que ses intentions sont bonnes. Par contre, il ne peut tolérer de personne qu'on lui en parle. Il sait que ce serait pour se moquer de lui. Ce que chacun pense, à ce moment qui est le sien quand il lit, voilà ce qui est, sera et aura été de l'idée réelle.

Empathie inversée.

L'empathie est l'art de se placer au point de vue de l'autre. Elle n'exclut pas le cynisme puisqu'on peut ensuite tirer parti de cette compréhension intuitive. Exemple. Cortés et sa troupe, ayant découvert que les Aztèques les prenaient pour des dieux, adaptent leur stratégie militaire de façon à les réduire à la servitude sans qu'ils se défendent.
T. Todorov, théoricien de la littérature, écrit: "Cortés (1485-1547) conquit aisément le Mexique. L'échec des Aztèques vint de ce qu'ils ne parvinrent pas à considérer les Espagnols comme des envahisseurs; ils les identifiaient aux dieux attendus". Quel est le défaut majeur de l'attitude des Aztèques que souligne ici Todorov?
1 Association hâtive.
2 Généralisation excessive.
3 Préjugé favorable aux étrangers (les non-Aztèques).
4 Incapacité de remettre en question leur façon de voir.
Réaction 53


Autre exemple d'empathie qui tourne au vinaigre : la parole malheureuse. Il y a des aveux irrémédiables. Le performatif touche le perlocutoire quand, volontairement ou non, un mot malheureux effectue dans l'esprit de l'autre un changement irréversible. Ex. Je sais que mon ami a volé. Quand il saura que je le sais, qqch. aura changé entre nous. Je ne pourrai plus le traiter de voleur en riant, par exemple, car il saura qu'il doit le prendre mal.

Ici prennent place les règles de la société, de la politesse. Code des distances à garder. Formules reçues. La politesse consiste à s'humilier parfois mais pour rehausser l'interlocuteur, pas au point de l'entraîner dans un jeu d'avilissement réciproque. Tant qu'à faire, mieux vaut se glorifier si cela entraîne qu'il se glorifie aussi...

L'art commence quand on peut jouer avec les personnages, les actions, les paroles, de façon telle que le lecteur parvienne à décoder, intuitivement, les intentions.

APPLICATION. Montage d'une scène.

Mettre un personnage sur le pavoi. Partir du plan argumentatif monté au chapitre précédent. Prendre l'objection majeure. Vous choisissez un personnage capable de la représenter (ou de la présenter). Vous décrivez d'abord ce personnage dans son milieu, son costume, son allure générale, ses comportements, diverses situations typiques. Vous le faites parler. Vers la fin de sa tirade, vous glissez quelques éléments excessifs (toujours aux yeux de votre auditoire, mais pas nécessairement aux yeux du sien, en guise d'esquisse de réfutation par le ridicule).

Réaction 54


Corrigé exemplatif dans le domaine de la gastronomie. Objection majeure : des populations souffrent de la faim. Un personnage : quelqu'un de connu qui représente l'Occident nanti. Il s'agit de le placer en contact avec les problèmes de malnutrition. Disons : la princesse Diana en visite officielle en Inde avec son mari. Dès sa descente d'avion, elle insiste auprès du chef du protocole pour qu'il place une visite d'orphelinat à l'agenda. Charles ne veut pas en entendre parler. Quelle est la cérémonie qui pourra se passer d'elle? Risques d'impair diplomatique!

Scène 2: Diana confie à Mère Teresa qu'elle serait en train de sabler le champagne si elle n'avait pas réussi à s'esquiver. MÈRE TERESA. -- Je le regrette pour vous, Majesté. DIANA -- Appelez-moi Diana? MÈRE TERESA -- Ces enfants-ci n'ont jamais entendu parler de champagne. DIANA -- Ce n'est pas ce qui leur manque le plus. MÈRE TERESA -- Maintenant, nous arrivons à leur donner deux bols de riz par jour mais de quoi ont-elles pu se nourrir avant leur arrivée à l'orphelinat! DIANA (Elle embrasse une petite fille) -- On voit que la vie ne les a pas épargnées. MÈRE TERESA -- Si nous avions le temps et que les journalistes étaient loin, je pourrais vous en raconter... DIANA -- Vous en avez combien? MÈRE TERESA -- Dans cette maison-ci, une cinquantaine. Il y a deux autres maisons en dehors de la ville. La difficulté, à part les problèmes budgétaires, est de former des soeurs pour s'occuper d'elles. DIANA -- Malgré l'ampleur de vos réalisations, c'est une goutte d'eau dans l'océan. MÈRE TERESA -- Si chacun faisait ce qu'il peut... DIANA -- Oui, vous avez raison. Quand on voit ce qui se gaspille à la cour... MÈRE TERESA -- Il y a dix ans, à Calcutta, la voirie passait le matin dans les rues avec des charrettes, qui se remplissaient de moribonds. Une honte! DIANA -- Même des enfants? MÈRE TERESA -- Surtout des enfants.

Scène 3. Diana est revenue à Buckingham. Elle prend le thé avec une intime, à l'ombre d'un grand tilleul du parc. L'AMIE -- Je t'aie vue à la télé, avec Mère Teresa. DIANA -- Tu ne peux pas savoir. Ç'a été si éprouvant. Tous ces petits visages, tournés vers vous! Je lui ai laissé un chèque de 150 000 roupies. L'AMIE -- Tu es bonne. Ce n'est pas moi qui aurais pu en faire autant. DIANA -- Encore un petit gâteau? (Ici, je crois qu'on a pu aller aussi loin qu'il fallait dans la présentation de l'objection à la gastronomie. Reste à trouver le moyen de réfuter minimalement comme prévu.) L'AMIE -- Non. Merci. Après tout ce que tu viens de me dire, je ne me sens pas le droit... DIANA -- Des situations comme celle de la ville de Calcutta sont tout de même devenues de plus en plus exceptionnelles. L'AMIE -- Il est vrai que si nous les laissons là, il vont sécher. DIANA -- Servons-nous, autrement ils valsent à la poubelle. (Elles s'empiffrent avec distinction.)

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