APPLICATION 2. Pondérer (selon le public) et retrier.
Il s'agit cette fois de vérifier les valeurs. Dans ce but, on pourrait affecter d'un indice chaque
argument. Cet indice sera d'autant plus élevé que le public a plus de chances d'y acquiescer
facilement. Il pourrait prendre la forme d'un chiffre situé entre 0 et 100. On ajouterait un signe +
pour l'argument auquel on accorde sa faveur implicite et un signe - pour ce qu'on ressent comme
une objection.
On peutmaintenant parcourir son fichier et noter dans le coin gauche de chaque fiche
argumentative l'indice congruent, de -100 (objection majeure) à -0 (objection qui n'a aucune
chance d'impressionner l'auditoire) puis de +0 (raison «pour» sans aucun poids) à +100 (argument
favorable avec lequel tout le monde ne peut qu'être d'accord). C'est cet argument «pour», le plus
décisif aux yeux du public, en fonction de ses préjugés probables, qui devrait trouver place au
terme de l'oeuvre. Au centre du développement viendront toutes les raisons les plus difficiles à
faire admettre. Dans les espaces intermédiaires se glissent les raisons relativement acceptables
sans doute, mais on réserve les objections pour la première moitié et les raisons favorables (de
son point de vue personnel) pour la dernière moitié. Il ne reste qu'à tout indicer et à retrier ses
fiches et l'on va pouvoir commencer à inventer une action dont la trame secrète conduit l'auditoire
immanquablement à une nouvelle persuasion commune : la vôtre.
Cette méthode, simple et commode, permet de réviser toute l'infrastructure du sujet point
par point dans l'ordre où se présentent les fiches, et de tout rebâtir en quelques minutes dans un
ordre que l'on va découvrir soi-même avec la satisfaction de construire sur du solide tout en
commençant à apercevoir l'aspect final d'une oeuvre profondément personnelle.
Voici ce que cela peut donner dans un domaine comme celui de l'homéopathie. Indiçons
d'abord les six fiches argumentatives de départ.
1. Les remèdes hautement dilués devraient coûter moins cher (les gens ne sont pas tellement
d'accord : -10).
2. Seule l'homéopathie respecte l'incroyable sensibilité de l'organisme humain (pas du tout
d'accord, les médicaments sont souvent bons : -95).
3. Certains remèdes homéopathiques sont courants depuis des siècles (pas sûr : -55).
4. Il faudrait procéder à des comparaisons officiellement contrôlées sur des échantillons aléatoires
étendus (Bien sûr... : +95).
5. Vu la faiblesse des doses, même pour de l'arsenic, il n'y a pas de danger à faire des essais (Si
la dose est vraiment réduite : +10).
6. Voici des chiffres. Le pourcentage de guérisons obtenues malgré les doses ridicules. (Les
chiffres sont difficiles à nier : +70).
On reclasse ensuite les fiches selon leurs indices, ce qui donnerait la 2, la 3, la 1, la 5, la
6, la 4.
Reste à intercaler les réfutations appropriées. Naturellement, les arguments sont
reformulés en fonction de la personne qui parle. Prenons comme antagonistes les médecins (A)
et les homéopathes (B); puis comme visée personnelle de faire la part des choses, en favorisant
le moindre mal. Il reste à disposer les répliques en conséquence.
On part de l'argument contre le plus fort, comme dans les entrevues télévisées : -95. On
le met dans la bouche des médecins, dont la victoire dans l'opinion est probable (mais c'est
justement ce qu'il s'agit de modifier). Remarquons que cela n'empêche pas de les faire s'exprimer
avec force et que les homéopathes sont là, tout prêts à réfuter, car il va falloir chercher des
réfutations immédiatement, ou des apparences de réfutation (car la qualité de la réfutation importe
moins que sa présence apparente).
A - 95: Comment des doses infimes pourraient-elle vaincre des maladies profondes, enracinées dans
les organes?
B Réfutation. La chirurgie est plus radicale! [Réponse ironique, argument ad hominem, mais sans
grande valeur. Aucune importance si la réfutation est faible, ce n'est qu'un début.]
A -55: Il y a des remèdes courants, connus depuis des siècles, auxquels on peut se fier.
B Réfutation. Ils ne sont pas si nombreux. Il ne suffisent pas toujours.
A - 10: Les remèdes homéopathiques ne se vendent pas moins cher...
B Réfutation. Ce n'est pas le prix qui importe, mais l'efficacité. [On réfute la quantité par la qualité.] |
En passant maintenant aux arguments à valeur positive, on échange les rôles. Pour cela, une
transition. Ou bien, simplement, garder le même interlocuteur, celui qui va proposer les arguments
étant celui qui réfutait les objections.
B +10: Même pour l'arsenic, la dose est si faible que des essais humains ne présentent pas de danger.
A Réfutation. Toute la pharmacopée est une question de dosage.
B +70: Regardez les chiffres. Le nombre des guérisons homéopathiques l'emporte sur toutes les
autres.
A Réfutation. D'où viennent vos chiffres?
B +95 : Qu'attendent les facultés de pharmacie pour lancer des expérimentations? |
A ne trouve rien à rétorquer. Il est à quia. Votre visée a fait pencher la balance vers B.
Naturellement, il aurait suffi de placer les antagonistes à l'inverse pour obtenir la conclusion
contraire, dans l'esprit de votre public. Comme c'est aussi son esprit qui est votre critère de valeur
des arguments, on voit que le lieu où l'action de composer l'oeuvre s'effectue est ...l'auditoire.
À l'issue de telles démarches, on se rend habile à croiser les arguments et leur réfutation,
et à les faire déboucher sans trop le laisser voir sur une synthèse personnelle, qui prend son appui
sur des réfutations successives et un minimum de valeurs reconnues.
Voulez-vous effectuer le montage en question à partir de votre fichier? Cela vous sera des
plus commode pour la suite des opérations. Comme les deux chapitres précédents ont enseigné
le moyen d'inventer aisément des arguments (les lieux de l'existence, de la quantité, etc.) il suffira
de travailler méthodiquement, de préférence aux heures où l'esprit déborde de vivacité.
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