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Extraits. |
La Princesse de Clèves. Histoire de Gil Blas de Santillane. Manon Lescaut. Les Liaisons dangereuses. |
Procédés typiques. | Ingrédients. |
Début. Milieu du XVIIe siècle.
Fin. Fin du XVIIIe siècle.
Lieux. France principalement.
XVIIe siècle (1620-1690).
Les nouvelles:
Sorel, les Nouvelles françaises (1623).
Scarron, les Nouvelles tragi-comiques (1655-1657).
Segrais, les Nouvelles françaises (1657).
Les romans historiques et galants:
Mme de Villedieu (1631-1683), Alcidamie (1661), les Annales
galantes (1670), les Désordres de l'amour (1675- 1676).
Saint-Réal (1629-1692), Don Carlos (1672), la Conjuration
des Espagnols (1674).
Mme de la Fayette, la Princesse de Montpensier (1662), Zaïde
(1670-1671), la Princesse de Clèves (1678).
Les romans épistolaires.
Boursault, Lettres à Babet (1669), Treize lettres
amoureuses (1697).
Guilleragues, les Lettres portugaises (1669).
Marana, l'Espion turc (1684).
Les romans utopiques.
Cyrano de Bergerac, les Etats et Empires de la lune (1657),
les Etats et Empires du soleil (1662).
Gabriel de Foigny, la Terre australe connue (1676).
Denis Veiras, Histoire des Sévarambes (1677-1679).
Claude Gilbert, Histoire de Caléjava (1700).
Fénelon, les Aventures de Télémaque (narration
fabuleuse en forme de poème héroïque, selon lui).
XVIIIe siècle (1690-1789).
Les romans "romanesques" (1690-1715): les romans historiques
et galants.
Mme d'Aulnoy, Hypolite, comte de Douglas (1690), le Comte
de Warwick (1703).
Mlle Caumont de la Force, Histoire secrète de Marie de Bourgogne
(1694), Anecdote galante ou Histoire secrète de Catherine de
Bourbon (1703).
Catherine Bernard, le Comte d'Amboise (1689), Histoire de la
rupture d'Abenamar et de Fatima (1696).
Les romans "réalistes" (à partir de 1715):
les romans de moeurs, d'aventures, comiques, sentimentaux, satiriques ou
libertins.
Courtilz de Sandras, Mémoires de M. d'Artagnan (1711).
Hamilton, les Mémoires de la vie du comte de Grammont (1713).
Robert Chasles, les Illustres Françoises (1713).
Lesage (1668-1747), le Diable boiteux (1707), l'Histoire de Gil
Blas de Santillane (1715-1735).
Marivaux (1688-1763), les Aventures de ... ou les Effets surprenants
de la sympathie (1713), la Vie de Marianne (1728-1742), le
Paysan parvenu (1734).
Prévost (1697-1763), Mémoires d'un homme de qualité
(1728-1731), Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut
(1731), le Philosophe anglois, ou Histoire de Monsieur Cleveland
(1731-1739), le Doyen de Killerine (1735-1740).
Crébillon, le Sylphe (1729), les Égarements du
coeur et de l'esprit ou Mémoires de M. de Meilcour (1736), le
Sopha, conte moral (1740), la Nuit et le moment, ou les matines
de Cythère (1755).
Duclos, Histoire de Madame de Luz (1741).
Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse
(1761).
Loaisel de Tréogate, les Soirées de mélancolie
(1777) Denon, Point de lendemain (1777).
Louvet, les Amours du chevalier de Faublas (1787-1790).
Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie (1788).
Choderlos de Laclos, les Liaisons dangereuses (1782).
Sade, Justine ou les malheurs de la vertu (1788).
Restif de la Bretonne, le Paysan perverti (1775), la Paysanne
pervertie (1784).
Diderot, la Religieuse (1760), Jacques le Fataliste (1771-
1773).
Le roman classique du XVIIe siècle peut se définir par opposition au roman héroïque de l'époque baroque, dont il cherche à se dégager. Le roman héroïque mettait en scène les hauts faits de personnages illustres, le roman classique raconte les actions particulières de personnes privées ou considérées dans un état privé. L'intrigue du premier était compliquée, de nombreux acteurs y participaient, le second façonne une intrigue simple entre quatre ou cinq personnages. L'un recourait à des artifices d'exposition, début in medias res, explications rétrospectives, récits de confidents, digressions, l'autre offre une narration linéaire, chronologique, sans digressions, sans intermédiaire de confidents. L'un entassait les aventures extraordinaires dont le hasard était le moteur, l'autre invente des circonstances simples, des événements quotidiens à l'enchaînement naturel. Les personnages de l'un étaient excessifs, idéalisés, l'autre met en scène l'homme du commun. Le discours du premier se caractérisait par son style ampoulé, celui du second se caractérise par son élégance, son atticisme et sa tendance à la litote. Le souci d'atténuation pousse à rapporter les conversations au style indirect; quand elles sont au style direct, elles sont éloignées de la phraséologie baroque autant que du dialogue familier. Enfin le roman héroïque était long, le roman classique est court.
Et si les romans utilisent encore parfois les procédés des romans héroïques, ils les motivent davantage: la Princesse de Clèves conserve la technique du récit à tiroirs, avec la différence par rapport aux romans baroques que les récits intercalés sont rattachés à la figure de l'héroïne: ils lui sont adressés et ont une influence sur elle par la leçon que s'en dégage. Le roman classique recherche un certain réalisme. L'objectif des auteurs est de donner l'illusion de la réalité par des procédés divers qui donnent naissance à de nouvelles formes: les romans historiques et galants, les pseudo-mémoires, les romans épistolaires. Les romans à la première personne non seulement créent la vraisemblance mais encore permettent l'exploration de la vie intérieure. Le romancier se fait moraliste et philosophe, il cherche à sonder les âmes pour mettre à jour les schémas essentiels. A mesure que le roman s'intériorise, il tend vers l'universel: le particulier doit faire voir le fond commun de la nature humaine.
C'est principalement la paix et l'ascension de la bourgeoisie qui conditionnent les changements subis par le genre romanesque au XVIIe siècle. La guerre contre l'Espagne (1634-1659) nourrissait un idéal héroïque reflété par la littérature des années 1630-1660. La paix contribue à la démolition du héros et à l'intérêt pour l'homme ordinaire. A partir de 1620-1630 se constitue un public nouveau, celui de la bourgeoisie aisée. L'on n'écrit désormais plus pour l'aristocrate seulement, l'on s'adresse à l'"honnête homme" qui demande à la littérature des jouissances saines et calmes, un aliment pour sa vie intellectuelle et un guide pour sa vie morale. La vie quotidienne n'est plus objet de caricature, on la décrit pour elle-même, on tente de la restaurer dans son cadre; les personnages de catégories sociales modestes entrent dans le roman (ce qui annonce Lesage, Prévost, Marivaux). Le roman devient l'histoire d'une destinée particulière engagée dans les vicissitudes de l'existence. On est à la fois sur la voie du roman psychologique et sur celle du roman de moeurs.
Au XVIIIe siècle, les acquisitions du XVIIe siècle, brièveté des oeuvres, importance de la vie intérieure, simplicité du style, cadre presque contemporain sont définitives. Mais la première période (1690-1715) ne retient des romans du siècle précédent que le ton et le style. Le roman de la période classique fournit des moyens d'expression à un baroque ressuscité: tout en retenant les leçons du classicisme (mise en garde contre l'emphase, exigence de vraisemblance), l'on recommence à recourir à l'exotisme et à l'aventure. Ces penchants se rencontrent avec la curiosité nouvelle pour le pittoresque social, les traits de moeurs et de caractères hardis ou scandaleux. Le romanesque reprend vigueur. Il s'agit surtout d'un littérature d'évasion.
Techniquement, cette tendance se manifeste par la forme du récit à tiroirs, l'accumulation des épisodes qui ne modifient pas les personnages, les personnages typés, l'héroïsation, les motifs narratifs (duels, empoisonnements, enlèvements, disparitions, déguisements, rencontres, hasard) et la valeur illocutoire du texte (son statut "lacrymogène").
Certains procédés du roman romanesque se retrouvent chez les romanciers de l'époque suivante (chez Lesage, Marivaux, Prévost et Sade; voir Barguillet 1981, p. 46-66).
A partir de 1715, un nouveau type de romans surgit en réaction contre les romans romanesques et sous l'influence des romanciers anglais (Richardson, Fielding et Smolett, introduits en France en 1740). Ces romans cherchent à peindre l'homme moderne. Le roman doit mettre à la disposition du lecteur une expérience, une leçon sur la vie réelle, en racontant des histoires imaginaires. Il doit pouvoir aider le lecteur à définir ses ambitions dans un monde où les barrières sociales et religieuses ont perdu de leur rigidité et où les croyances sont remises en cause.
Les personnages ne sont plus typés, ils sont particularisés, ainsi que les lieux et les sociétés. C'est désormais en collectionnant les particularités (à la façon anglaise) que l'on vise l'universalité. L'on veut à la fois restituer la vérité de son époque avec toutes ses nuances et, en héritier de l'époque classique, transmettre des vérités immuables qui transcendent les pays et les époques.
Mais le réalisme est limité (au moins jusqu'en 1860) par l'esthétique classique (dont Sade prendra le contre-pied), toujours à l'honneur au XVIIIe siècle (c'est ce qui distingue le roman français du roman anglais). L'on ne peut décrire avec précision les décors et les personnages; l'on ne peut évoquer la trivialité de la vie, nommer les choses. On exprime le concret par l'abstrait. Pour ne pas choquer, les romanciers emploient la litote, la périphrase.
Les romans prennent la forme du conte (transcription d'une histoire racontée oralement), des mémoires, du roman épistolaire ou des lettres-mémoires (un narrateur écrit ses mémoires à un correspondant). Ces formes favorisent l'illusion de vérité. Les romans multiplient les procédés illusionnistes (voir Barguillet 1981, p. 143-147). L'auteur se manifeste cependant lors d'intrusions directes (dans une préface, un avis ou des notes) ou indirectes (par l'ironie) dans le but d'assurer la bonne interprétation.
Henri Coulet écrit (p. 8): "Avant la Révolution, faute d'oeuvres antiques auxquelles il puisse demander l'idée de sa perfection, le roman ne connaît pas de chef-d'oeuvre apporté par le courant d'une tradition: les chefs-d'oeuvres existent, mais se détachent isolés sur la médiocrité des oeuvres qui les imitent, sans rien leur communiquer de leurs vertus et sans se continuer vraiment les uns les autres." L'histoire du roman français au XVIIIe siècle révèle une pluralité de tendances et de réussites que l'absence d'une tradition nationale autonome rend difficilement totalisable.
Sous l'influence de Richardson et de Diderot, le roman devient théâtral. Marmontel (Éléments de littérature, article drame, dans Oeuvres complètes, 1819-1820, t.4, p.401) dénonce les auteurs qui copient la réalité pour se dispenser du choix, du goût et de l'invention. Il récuse deux procédés que Diderot jugeait essentiels au drame: le style exclamatif et la pantomime. "Donner pour du naturel l'incorrection, la platitude, l'insipidité du langage, l'oiseuse futilité des petits détails qui se mêlent à l'action, c'est ce qu'on appelle connaître et peindre la nature". Mais (poursuit Henri Coulet, le Roman théâtral, dans les Genres insérés dans le roman, Colloque 1992, p.188) la régularité, l'invraisemblance des sentiments et des aventures disqualifia le roman pour plus d'un siècle. "De Furetière à Diderot, le souci des romanciers, fut de ne pas être confondus avec les Scudéry et les La Calprenède." H. Coulet, Ibidem. Et p.189: "Quand on réunit drame et roman, à l'époque des Lumières, ce n'est pas, comme fait Marmontel, pour trouver des correspondances théoriques, c'est pour répondre aux besoins d'un public nouveau et donner la traduction littéraire d'une nouvelle sensibilité. Ce qu'on fait voir aux yeux renforce l'effet de ce qu'on fait entendre aux oreilles et ce qu'on fait entendre aux oreilles renforce l'effet de ce qu'on fait lire à l'esprit. De là naissent deux tendances inverses et convergentes que l'on constate dans le drame et dans le roman: les indications scéniques se développent dans le drame au point de devenir descriptions, tableaux, récits et même analyses psychologiques; et dans le roman, les dialogues directs, sans incises narratives, deviennent de plus en plus nombreux. ... Dans Jacques le Fataliste, le dialogue d'idées et le dialogue dramatique relaient la narration et se confondent avec elle: on ne peut pas encore parler de roman théâtral mais de roman-conversation (ce qui n'est pas encore le cas chez Marivaux, Lesage et Prévost). Quant aux dialogues de Crébillon (la Nuit et le moment, et, bien que l'auteur y ait maintenu les incises narratives, les passages dialogués du Sopha), ils se situent à mi- chemin du conte et du dialogue mais sans être du roman théâtral car il s'est moqué du réalisme de Richardson et, loin d'exciter la sentimentalité du lecteur, il l'invite au contraire à l'ironie. [Ceci montre la puissance des formes, qui s'imposent même quand le sens n'y est pas.] "Quant à la matière, ce n'est ni dans la mythologie, ni dans l'Antiquité, ni à la Cour, ni dans les salons qu'il faut la chercher, mais dans la famille de l'honnête bourgeois: "Là tu verras des moeurs franches, douces, ouvertes, variées, là tu verras le tableau de la vie civile tel que Richardson et Fielding l'ont observé'" (L.S. Mercier, Du théâtre, 1773, ch.VI, p.84.) Beaumarchais proteste que les histoires des héros antiques n'ont aucun intérêt pour lui (Essai sur le genre dramatique sérieux, dans Oeuvres, Gallimard 1988, p.125; cité par H. Coulet, ibidem, p.192) et Mercier (Ib., chap.28, p.326): "un roman nouveau, malgré son titre, m'intéresse beaucoup plus que les personnages de l'Énéide, qui n'est qu'un antique et incroyable roman. J'apprends de celui du jour à connaître le caractère de ces hommes acteurs de la société avec lesquels je vis'.
Le conte moral. (Suivant H. Coulet, Ibid., p.195). Genre narratif fourre-tout de 1760 jusque bien au-delà de 1800. Il inclut poème, dialogue, pièce de théâtre destinée à la lecture, drame, conte philosophique, conte fantastique... Ex. Lacretelle aîné, Charles Artaut Malherbe ou le Fils naturel (1807), sorte de roman par dialogues.
Origines.
Le roman héroïque et la novela espagnole.
Le roman classique se constitue en réaction contre les romans héroïques
de l'époque baroque et sous l'influence de la novela espagnole.
Le discrédit qui frappe les longs romans baroques entraîne
la réactivation du genre narratif bref. Le roman prend, au début
du XVIIe siècle, la forme de la "nouvelle",
roman moins long que le roman baroque, mais qui peut atteindre 700 pages.
La "nouvelle" emploie les mêmes procédés
d'exposition et de composition que le roman héroïque, les mêmes
thèmes, les mêmes types de personnages et les mêmes
péripéties. Sorel (voir A3) est le précurseur. Il
acclimate la novela à la culture française. Scarron
et Segrais chercheront à dégager la nouvelle du modèle
espagnol. Segrais fait la transition entre le roman baroque et le roman
classique. Dans les longues conversations qui ponctuent ses Nouvelles
françaises, il cherche à promouvoir une nouvelle tirée
d'événements historiques et respectant la vraisemblance.
La source espagnole est partagée par de nombreux écrivains
jusque vers 1725, qu'expliquent la prééminence littéraire
et l'actualité politique de l'Espagne. La littérature emploie
des thèmes et des situations déjà littérairement
élaborés. Ex.: Gil Blas. Lesage n'aurait pas réussi
à donner au roman français une direction nouvelle sans la
ressource d'une littérature déjà constituée,
celle du roman picaresque espagnol et du répertoire dramatique des
comedias.
Postérité.
Le roman romantique et le roman réaliste.
Le roman romantique. Apparition de la sensibilité (souvent déclamatoire)
dans le roman. Influence de la Nouvelle Héloïse sur
les préromantiques (voir fichier ROMANS ROMANTIQUES).
Le roman de la fin du XVIIIe siècle (Laclos, Sade) procède
à une contestation des règles et de l'esprit classiques:
les Liaisons disent l'échec de la cérébralité
(voir B2), Sade transgresse les canons esthétiques de son époque.
Le romanesque sombre de la fin du XVIIIe siècle siècle
et le romanesque romantique se rejoignent dans le goût des pleurs,
de la langueur, des lieux macabres. Mais ils ne se confondent pas: le
romanesque du XVIIIe siècle cultive le baroquisme et
l'invraisemblance, tandis que le premier romantisme s'attache à
la vie des âmes souffrantes (la violence de Sade ne ressemble pas
à la douceur triste de Loaisel de Tréogate). Mais la génération
ultérieure de romantiques, plus excessifs, se souviendront des extravagances
romanesques et les perpétueront en les sentimentalisant.
Le roman réaliste. En 1743, le roman réaliste est définitivement
accepté en France. L'ascension de la bourgeoisie a renouvelé
les composantes de l'esprit romanesque. L'aventure n'a plus le même
sens; elle n'exalte plus que rarement les valeurs aristocratiques, elle
s'identifie de plus en plus avec la biographie de l'individu anonyme aux
prises avec le réel. Entrée des personnages d'origine modeste
dans le roman. Ouverture à la polyphonie.
AUERBACH, le Souper interrompu, in Mimésis, Gallimard,
1968, p. 395-428.
BARGUILLET, Françoise, le Roman au XVIIIe siècle,
PUF, 1981.
BOURSIER, Nicole et David Trott (éds), la Naissance du roman
en France, actes de colloque, Wolfgang Leiner, 1990.
COULET, Henri, le Roman depuis les origines jusqu'à la Révolution,
Armand Colin, Coll. "U", 1975.
LEVER, Maurice, le Roman français au XVIIe siècle,
PUF, 1981.
SERMAIN, Jean-Paul, Rhétorique et roman au XVIIIe
siècle, University of Oxford, 1985.
Aide pour les pages des genres littéraires.
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