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LA CORRESPONDANCE

Informations.
  1. Temps et lieux.
  2. Auteurs et oeuvres.
  3. Définition et fonction dans la société.
  4. Origines et postérité.
  5. Bibliographie.
Extraits. Lettre à Léonie Biard.
Lettre à Trebutien.
Procédés typiques. Ingrédients.

1. Temps et lieux.

Début. Au moins troisième millénaire avant J.-C. (date des plus vieux vestiges épistolaires).
Fin. Encore vivant.
Lieu. Les sociétés avec écriture.

2. Auteurs et oeuvres.

Cicéron (106-43), Correspondance (de 63 à 43) : lettres à Atticus, à ses parents et amis, à son frère Quintus et à Brutus.
Pline (61-114), Correspondance échangée avec l'empereur Trajan.
Libianos (314-391), Lettres (1605 lettres).
Grégoire de Nazianze (330-390), Lettres.
Symmaque (340-416), Lettres (403-408).
Aristénète, Lettres (Ve siècle, 55 lettres galantes).
Sidoine Apollinaire (430-489), Lettres (470-480).
Abélard (1079-1142) et Héloïse, Lettres.
Pétrarque (1304-1374), Lettres.
l'Aretin (Pietro Aretino, 1492-1556), Correspondance.
Guez de Balzac (1597-1654), Lettres (1624 : premier recueil).
Mme de Sévigné, Correspondance et Lettres (1500 lettres écrites entre 1671 et 1696).
Voltaire, Correspondance (1800 lettres adressées à 700 correspondants entre 1713 et 1778).
Diderot (1713-1784), Correspondance, Lettres à Sophie Volland.
Stendhal, Correspondance (première édition : 1855), Lettres à Pauline (1800-1825).
Balzac, Lettres (première édition : 1856-1858), Lettres à l'étrangère (édition : 1899), Correspondance (comprend les lettres des correspondants de Balzac).
Flaubert, Correspondance (1830-1851).
Marie Mattei, Lettres à Théophile Gautier (1852- 1870).
Proust, Correspondance : avec sa mère, avec Jacques Rivières, lettres à Reynaldo Hahn.
Sartre, Lettres au Castor (1926-1963).
Anaïs Nin et Henry Miller, Correspondance (1932-1953).

3. Définition et fonction dans la société.

Communication par échange de lettres. La lettre est un "écrit que l'on adresse à quelqu'un pour lui communiquer ce qu'on ne peut ou ne veut lui dire oralement" selon le Robert et un "écrit sur feuille de papier, adressé personnellement à quelqu'un et destiné à être mis sous enveloppe pour être envoyé par la poste" selon le Grand Dictionnaire Encyclopédique Larousse. La lettre participe de deux statuts : elle est un substitut de l'oral et elle est de caractère privé.

La correspondance est un dialogue, il faut deux locuteurs pour la produire (il n'y a pas correspondance si une seule personne tient la plume). Mais c'est un dialogue différé, un échange communicationnel caractérisé par l'absence de l'interlocuteur. C'est de ce trait propre que dérive la forme que prennent l'énonciation et les manifestations de la subjectivité dans le genre épistolaire. Ce qui est propre à la lettre est que sa fonction communicative est inscrite dans le texte.

La lettre exhibe la situation de sa propre énonciation, notamment par le moyen d'une référence explicite à la personne, au temps et au lieu. Et elle est une forme de discours où la subjectivité est fortement marquée. La figure du destinateur est toujours présente; il ne peut pas ne pas dire "je", toute lettre étant écrite par quelqu'un qui doit se manifester dans le texte. Le destinateur n'a aucune possibilité de se cacher dans une narration historique à la troisième personne. Sa présence est marquée par la signature, ancrage textuel du sujet qui est aussi la marque du genre épistolaire.

Une des particularités du genre consiste dans le fait que les localisations spatio-temporelles ont comme point de référence le lieu et le temps de l'encodeur seulement. Leur décodage est pour le récepteur, qui ne peut les interpréter correctement qu'en se mettant à la place de l'émetteur, plus laborieux que celui des autres unités signifiantes. Le temps et le lieu de la narration peuvent être l'objet de la narration même ("Pendant que je t'écris...", "Le bureau sur lequel je t'écris...").

Le destinataire est textuellement présent. La lettre étant un dialogue virtuel, les deux rôles énonciatifs y sont présents à la fois. Le destinataire est en général inscrit dans les formules d'ouverture ("Cher X") et dans les formes pronominales ("Je t'écris pour te dire..."). Il est caractérisé, il s'agit d'un individu précis et non pas d'un lecteur virtuel. Il est doté de compétences ("Tu sais sûrement que..."). L'énonciataire de la lettre renvoie à un destinataire extratextuel qui en constitue le référent. L'enveloppe vise à sauvegarder l'unicité du destinataire.

La lettre peut comporter des références au temps et au lieu du destinataire ("Tu liras cette lettre..." ou "Tu es en train de lire ces lignes et tu penses..."). L'assomption de la distance produit la coprésence d'un temps double et d'un double lieu de référence, temps et lieu du destinateur et temps et lieu du destinataire.

La distance temporelle et spatiale des interlocuteurs est un élément auquel le discours épistolaire se réfère explicitement. L'on s'écrit parce qu'on est éloigné et parfois on écrit le fait d'être éloignés, comme dans les lettres de voyage et les lettres d'amour. La distance spatiale est alors le contenu principal des messages. La distance réelle entre les interlocuteurs devient absence thématisée.

4. Origines et postérité.

Origines.
1) Les plus vieux vestiges épistolaires : A) lettres rédigées en akkadien.
- correspondance de marchands assyriens de l'Anatolie avec leurs compatriotes de Ninive ou d'Assour, au XIXe siècle avant J.-C.; - archives royales de Mari, au XVIIIe siècle avant J.-C.; - lettres dites d'El-Amarna échangées entre le Pharaon et les grandes puissances de l'époque, aux XVe et XIVe siècles avant J.-C.; - correspondance de la chancellerie royale de Ninive, au VIIe siècle avant J.-C.
B) lettres rédigées en sumérien.
- billets administratifs de la dynastie d'Our, au 3e millénaire avant J.-C.; - correspondance royale, à la fin du 3e millénaire avant J.-C. (dont les textes apologétiques, recopiés comme des classiques, faisaient partie de la littérature pédagogique); - lettres adressées aux dieux en guise de suppliques ou d'actes d'adoration.
C) la correspondance sacrée (en Occident).
- les épîtres de Paul, écrites entre 50 et 65 (dont on trouve une trace écrite au début du IIe siècle); - Yves de Chartres (1040-1120) : correspondance qui tourne au sermon; - communication épistolaire avec le sacré : les lettres du Christ, de la Vierge et du diable. La plus connue (lettre envoyée par le Christ aux hommes, qui traite de la nécessité du repos dominical) apparaît dans un sermon de Pierre d'Alexandrie (VIe siècle). La tradition de la lettre du diable débute chez Guillaume de Malmesbury, vers 1120.

2) Origine de l'art épistolaire.
- L'antiquité gréco-latine a laissé des rhétoriques de la lettre. Ex. : les traités attribués à Démétrios de Phalère et l'Ars rhetorica de Caïus Julius Victor (IVe siècle, art rhétorique dérivé de Cicéron)), qui aborde la question épistolaire ("de epistolis"). Victor y fait la distinction entre lettres d'affaires et lettres personnelles ou familières, pour lesquelles il recommande la clarté et la simplicité. Il fait quelques remarques sur les salutations et le congé : l'épistolier doit tenir compte des relations d'amitié et de rang.
- Les manuels de technique épistolaire. Apparaissent à la fin du XIe siècle et proposent dès le XIIe siècle des ensembles cohérents et complets. Aubry (Albericus) du mont Cassin (1030-1105), les Rayons des arts épistolaires (Dictaminum radii) et les Bréviaire épistolaires (Breviarum de dictamine, voir Chartier et alii, p. 138-139.); Adalbert de Samarie, Préceptes des arts épistolaires (Praecepta dictaminum, 1120); Hugues de Bologne, Raisons de l'art de la correspondance en prose (1120); Bernard de Meung, l'Encyclopédie épistolaire (Summa dictaminis, 1190) : quelques conseils généraux précèdent un lot de lettres modèles (cinq cent une) faites pour des situations précises; Laurent d'Aquilée, Pratique ou usage de l'art épistolaire (1300), etc. (voir Chartier et alii p. 143-152 et Versini p. 29 sq.).

5.3. Origine de la publication de la correspondance.
- En Chine, depuis les Tang, les oeuvres complètes des écrivains comprennent généralement quelques chapitres rassemblant la correspondance adressée, en prose (Cao Pei, Sima Qian) ou en vers (Yuan Zhen, Bai Juyi), à des amis.
- A la Renaisance, sont publiées les lettres de Cicéron, de Sénèque, de Pline et d'érudits italiens contemporains.
- Le XIXe siècle : époque où on lit et publie les correspondances du XVIIe et du XVIIIe. En France, la maison Garnier-Frères se spécialise dans la publication des correspondances du XVIIIe siècle (Grimm, Voltaire, Diderot).

4) Origine de la lettre intime.
- La lettre d'amour au Moyen Age. Les lettres d'amour en vers se rencontrent dans la littérature lyrique occitane du Salut d'amors, salutations du troubadour à la dame (XIIe-XIIIe siècles), auxquelles les trouvères du nord ajoutent quelquefois, au XIIIe siècle, des réponses. Au XIVe siècle, Guillaume de Machaut combine dans Livre du voir-dit, où sont contées les amours de Messire Guillaume de Machaut et de Peronnelle dame d'Armentières avec les lettres et les réponses, les ballades, lais et rondeaux dudit Guillaume et de ladite Peronnelle (1363) la vérité d'une correspondance réelle avec les conventions du lyrisme amoureux en vers. Froissart insère dans sa Prison amoureuse (1372-1373) douze lettres en prose, échangées avec un ami dont il cherche à faire l'éducation sentimentale. Charles d'Orléans (1394-1465), Poème de la prison : lettres en vers adressées à sa dame ou à des allégories.
- Au XVIIIe siècle, la lettre est diffusée par un public aritocratique. Moyen d'unification idéologique, elle se confond avec les premières gazettes : journal et lettre n'étaient encore que deux supports possibles du même mode d'écriture de l'information. La communication privilégiée d'un expéditeur à un destinataire pouvait se transformer en communication ouverte à plusieurs destinataires et provenant même de plusieurs expéditeurs (cf. la Correspondance littéraire de Grimm et de Meister, où se rassemblaient des collaborations diverses à l'adresse du cercle des princes de l'Europe).
- Après 1789, et encore moins après 1848, les conditions sociales et idéologiques de la transmission des "nouvelles" ne sont plus réalisées. La lettre tombe dans le domaine de l'intime. La lettre par excellence devient la lettre d'amour. Les titres des volumes regroupant les correspondances l'indiquent : Mérimée, les Lettres à une inconnue (1874), les Lettres à une autre inconnue (1875), Balzac, les Lettres à l'étrangère, Rémy de Gourmont, les Lettres de l'amazone. Marque du secret, de l'intime : le refus de livrer l'identité (au moins dans le titre) de l'interlocutrice.

Postérité.
- Les lettres dans la fiction. Le roman a très tôt accueilli des lettres réelles, le plus souvent des lettres d'amants que séparent des parents hostiles, comme dans les romans grecs (Jamblique,les Babyloniques ou les Amours de Rhodanès et de Sinonis, IIe siècle; Héliodore, les Ethiopiques ou Théagène et Chariclée, IIIe siècle, etc.) dont s'inspirent les romans byzantins (Eustathe, Hysmine et Hysminias, XIIe siècle). Les lettres en vers d'Ovide, les Tristes et les Héroïdes ont influenc l-1464), etc.
- Le roman épistolaire, composé de lettres fictives.
- Survivance du genre. Mais l'art épistolaire souffre de la concurrence avec le téléphone ainsi que du surmenage des individus.

5. Bibliographie.

CHARTIER et alii, la Correspondance. Les usages de la lettre au XIXe siècle, Fayard, 1991 (voir surtout le chapitre II de la deuxième partie : la Norme épistolaire, une invention médiévale, p. 127-152 pour l'histoire des manuels épistolaires).
DIAZ, José-Louis et alii, la Lettre d'amour, revue de l'U.F.R. Sciences des textes et documents de l'Université Paris VII, 1992.
KAUFMANN, Vincent, l'Equivoque épistolaire, Minuit, 1990 (sur les correspondances d'écrivains).
PAGÈS, Alain, Stratégies textuelles : la lettre à la fin du XIXe siècle, Littérature, 31, octobre 1978, p. 107-116.
GREIMAS et alii, la Lettre. Approches sémiotiques, Actes du VIe Colloque interdisciplinaire (1984), Éditions universitaires de Fribourg, 1988.
SACCOMAN, Cécile, le Guide de la correspondance, Paris, Dessain et Tolra, 1987.
VERSINI, Laurent, le Roman épistolaire, PUF, 1979.
Numéro spécial de revue: Revue des sciences humaines, 195, 1984-3, Lettres d'écrivains.

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