O Musique! Poésie! O débit! Déclenche-toi! Et pressée par les bouffées d'air de ma glotte, porte-moi, emmène-moi, innerve-moi, entraîne-moi à travers les phrases réceptrices, apprends-moi à te libérer, à te dire, apprends-moi à sentir la beauté de la vie, livre-moi à ce flux, à cette coulée, à l'esthétique des mots, à la littérature de la voix, aux terminaisons sensitives de mes fibres, à ces paroles, mieux qu'une étreinte, mieux que l'orgasme et relie-moi à la terre dont l'écho nous dicte notre langue, les rouges aigus, cette transmission orale qui informe la sensibilité et qui culmine dans ce sang, dans la matière de la parole, dans les mots de créativité, dans les mots qui amplifient le corps au-delà de la caresse et du toucher, phonèmes aussi gras et duveteux que la peau nue, pour que soit jeté un pont entre moi et l'autre, pour que mes ligaments, mes reins, mes veines, mes capillaires se propagent dans un autre corps, pour que soit possible le passage de la solitude à l'amour, pour que la femme communique avec l'homme, laisse-moi parler, laisse-moi développer ces harmoniques d'un style émis par la tendresse, laisse-moi vibrer, laisse-moi m'humaniser, t'entendre, t'entendre, je m'approche de Claude, comme si j'allais nouer mes bras autour de son cou et, berceau serin, chardonneret, nourri de graines de lin, de navettes et de chènevis, faisait naître les châssis de lumière qui scintillaient, les grandes cages d'or et de vermeil doré, le merveilleux fantastique, les ramages, les clignotements d'un rouge argenté et moucheté de soleil ou bronzé de couleur d'or et les volières, les reflets des oiseaux dorés au miroir de l'imaginaire et leurs plumes truitées, les jaunes d'or, les transparences marbrées, le bleu incarnat, ces journées dans le langage, dans l'invention, dans la lumière, dans les arbres, dans l'herbe, comme un château de torsades de cheveux blonds, quand, près de la rivière, j'écoutais encore couler l'eau qui me redonnait le jour et m'abritait dans ce bercement et que j'apprenais à moduler la brise, la tiédeur, la campagne, à parler...
Référence. Chantal Chawaf, Rougeâtre, Paris, Pauvert, 1978, p. 160-161.
Explication. La syntaxe du début de la phrase est courante: des apostrophes rhétoriques sont suivies d'impératifs et de leurs compléments. Ce qui fait la spécificité de la phrase est l'accumulation, le refus de choisir une construction syntaxique. Tactisme. La narratrice a appris à parler en écoutant l'eau. Logorrhée.
Cliquez sur la main devant le procédé pour le voir ci-dessus. Si vous cliquez sur le nom du procédé, vous retournez à sa définition.
à-peu-près, accumulation disparate, actualisation incertaine, anacoluthe, auteur présent, baiser, cinéma intime, communion, contemplation, correspondance 2, différenciation, disposition affective, écriture automatique, emberlificotation, embrouillamini, énoncé spontané, énumération, espoir, expression corporelle, féerie, fonction émotive, fusée, généralisation, impressionnisme, isotopie complexe, logorrhée, mixage, mot composé, mot expressif, nom de sentiment, ponctuation expressive, réaction affective, réjouissance, synchise, synesthésie
Notice sur Création au féminin et liste de ses ingrédients (procédés favoris).
Aide pour les pages des genres littéraires.
Copyright © 1998 C.A.F.É.