[... ] Les femmes jugent d'ordinaire de la passion qu'on a pour elles, continua-t-il, par le soin qu'on prend de leur plaire et de les chercher, mais ce n'est pas une chose difficile pour peu qu'elles soient aimables; ce qui est difficile, c'est de ne s'abandonner pas au plaisir de les suivre, c'est de les éviter, par la peur de laisser paraître au public, et quasi à elles-mêmes, les sentiments que l'on a pour elles. Et ce qui marque encore mieux un véritable attachement, c'est de devenir entièrement opposé à ce que l'on était, et de n'avoir plus d'ambition, ni de plaisir, après avoir été toute sa vie occupé de l'un et de l'autre.
Mme de Clèves entendait aisément la part qu'elle avait à ces paroles. Il lui semblait qu'elle devait y répondre et ne les pas souffrir. Il lui semblait aussi qu'elle ne devait pas les entendre, ni témoigner qu'elle les prît pour elle. Elle croyait devoir parler et croyait ne devoir rien dire. Le discours de M. de Nemours lui plaisait et l'offensait quasi également, elle y voyait la confirmation de tout ce que lui avait fait penser Mme la dauphine, elle y trouvait quelque chose de galant et de respectueux, mais aussi quelque chose de hardi et de trop intelligible. L'inclination qu'elle avait pour ce prince lui donnait un trouble dont elle n'était pas maîtresse. Les paroles les plus obscures d'un homme qui plaît donnent plus d'agitation que des déclarations ouvertes d'un homme qui ne plaît pas. Elle demeurait donc sans répondre et M. de Nemours se fût aperçu de son silence, dont il n'aurait peut être pas tiré de mauvais présages, si l'arrivée de M. de Clèves n'eût fini la conversation et sa visite.
Référence. Mme de Lafayette, la Princesse de Clèves, tome deuxième.
Explication. La texture. Le dialogue. Le psycho-récit. Le
récit.
1. Le dialogue. Discours direct. Mimèse 1. Liaison avec le
psycho-récit: le discours est le catalyseur d'un événement
psychique. Effet perlocutoire dont rend compte le psycho-récit.
Fonction narrative du discours direct. Il fait progresser l'action. Il
opère un rapprochement affectif.
2. Le psycho-récit (de «Mme de Clèves entendait
aisément...» à «...un trouble dont elle
n'était pas maîtresse»). Refus du monologue. Le monologue
est peu fréquent dans la Princesse de Clèves. Innovation
par rapport aux romans des prédécesseurs (ex.:
l'Astrée). Le psycho-récit permet d'intégrer la vie
intérieure des personnages à la narration sans
discontinuité. Même forme grammaticale: l'imparfait (description
d'actions. Pas récit pur). Stratégie de crédibilisation:
en mettant sur le même plan (narratif) la vie intérieure et les
actions, la narratrice donne à celle-là une existence aussi
réelle qu'à celles-ci.
Intervention de la voix narrative qui
ordonne et intellectualise le trouble du personnage. Voix souveraine qui
introduit un ordre dans les pensées confuses, résume en quelques
phrases l'essentiel des mouvements psychiques. Alliance de sentiments.
Epiphonème («Les paroles les plus obscures d'un homme qui
plaît...»): apparition du dicours (vs récit.
Benveniste). Texte gnomique. Explication du trouble.
3. Le récit. Transition entre le psycho-récit et le récit:
le connecteur «donc». Attitude extérieure comme
conséquence des événements intérieurs. Silence de
Mme de Clèves: motif narratif. Personnage piégé,
acculé au mutisme.
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