Rosanette voulut qu'on arrêtât, pour mieux voir le défilé. Mme Arnoux
pouvait reparaître. Il cria au postillon :
-- «Va donc! va donc! en avant!»
Et la berline se lança vers les Champs-Elysées au milieu des autres
voitures, calèches, briskas, wursts, tandems, tilburys, dog-carts,
tapissières à rideaux de cuir où chantaient des ouvriers en goguette, demi-fortune que
dirigeaient avec prudence des pères de famille eux-mêmes. Dans des victorias bourrées
de monde, quelque garçon, assis sur les pieds des autres, laissait pendre en dehors ses deux
jambes. De grands coupés à siège de drap promenaient des douairières qui
sommeillaient; ou bien un stepper magnifique passait, emportant une chaise, simple et coquette
comme l'habit noir d'un dandy. L'averse cependant redoublait. On tirait les parapluies, les
parasols, les mackintosh; on se criait de loin : «Bonjour! -- Ca va bien? -- Oui! -- Non! -- A
tantôt!» et les figures se succédaient dans une vitesse d'ombres chinoises. Frédéric et Rosanette
ne se parlaient pas, éprouvant une sorte d'hébétude à voir auprès d'eux continuellement,
toutes ces roues tourner.
Par moments, les files de voitures, trop pressées, s'arrêtaient toutes à la fois sur
plusieurs lignes. Alors, on restait les uns près des autres, et l'on s'examinait. [... ] Puis tout se
remettait en mouvement; les cochers lâchaient les rênes, abaissaient leurs longs fouets; les
chevaux, animés, secouant leur gourmette, jetaient de l'écume autour d'eux; et les croupes et
les harnais humides fumaient, dans la vapeur d'eau que le soleil couchant traversait. Passant
sous l'Arc de triomphe, il allongeait à hauteur d'homme une lumière roussâtre, qui faisait
étinceler les moyeux des roues, les poignées des portières, le bout des timons, les anneaux des
sellettes; et, sur les deux côtés de la grande avenue, -- pareille à un fleuve où ondulaient
des crinières, des vêtements, des têtes humaines -- les arbres tout reluisants de pluie se
dressaient, comme deux murailles vertes. Le bleu du ciel, au-dessus, reparaissant à de certaines
places, avait des douceurs de satin.
Alors, Frédéric se rappela les jours déjà loin où il enviait
l'inexprimable bonheur de se trouver dans une de ces voitures, à côté d'une de ces
femmes. Il le possédait, ce bonheur-là, et n'en était pas plus joyeux.
Référence. Flaubert, l'Education sentimentale, deuxième partie, chapitre IV.
Explication.
Description des voitures qui descendent les Champs-Elysées.
1. La description du réel. Le contenu a un correspondant au niveau du monde extra-textuel.
Le texte cherche à produire l'illusion référentielle. La vision parcellaire, synecdochique,
suggère un monde foisonnant existant hors-texte. Impression que le texte fait connaître et non
pas naître la réalité.
Enumération des voitures : «représentation» du spectacle incohérent qu'offre la société
sur les Champs-Elysées. Toutes les classes sont représentées : les prolétaires (dans les
«wursts» et les «tapissières»), les aristocrates (dans les «tandems» et les «grands coupés à
siège de drap») et les bourgeois (dans les «victorias» et les «demi-fortunes»).
2. La diégétisation de la description.
Procédés de motivation de la description : 1) ôter à la description son caractère
détachable; 2) lui ôter son caractère contingent : la technique du point de vue. embrayer la
description sur la diégèse.
2.1. Entrer et sortir de la description.
2.1.1. Du récit à la description.
L. 1 à 3 : récit. Phr. 1 : discours transposé. Phr. 2 : endophasie. Phr. 3 : récit. Phr. 4 :
discours rapporté.
«Et la berline...» récit + entrée dans la description par le biais du complément
circonstanciel.
2.1.2. De la description au récit. Le dernier paragraphe.
«Alors» signale que le spectacle provoque un événement psychique. Phr. 1 : psycho-récit + contagion stylistique («l'inexprimable bonheur»). Phr. 2 : endophasie. On retourne au
récit. Rôle de l'imparfait : jonction entre la description et la narration.
2.2. Le point de vue. La description ambulatoire et impressionniste.
Frédéric personnage focalisateur. Optique limitée, restriction de champ. Vision
fragmentaire. Le spectateur et le spectacle sont mobiles. Ne peuvent s'attarder ni le regardant
ni le regardé. Pauvreté de la caractérisation (épithètes uniques, compléments de
caractérisation sans déterminant : «des tapissières à rideaux» ou substantifs sans caractérisation
adjectivale). Enumération.
Accent mis sur le surgissement des phénomènes. Syntaxe : principales d'un
développement réduit, centrées autour d'un noyau verbal. Proposition 1. Verbes d'action.
Multiplicité et rapidité des changements de cadre, cf. le montage 2.
Phénomène de contagion stylistique : certaines formes relèvent du langage du
personnage («un stepper magnifique»). «Des douceurs de satin» : endophasie? La comparaison
est-elle attribuable au personnage? Elle comporte deux sèmes (le luxe et la féminité) que l'on
retrouve dans la pensée de Frédéric («Alors, Frédéric...»). Comparaison stéréotypée.
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analepse interne Parfois au discours direct par un personnage comme au chapitre II de la Curée et aux chapitres II et III de Germinie Lacerteux; parfois à partir d'un objet auquel se rattache un passé, comme au premier chapitre de la Bête humaine : Et ce petit objet avait suffi ..., clou d'or, description Impression qu'il existe hors-texte un monde objectif., discours rapporté, effet par évocation, endophasie, énumération, focalisation Rend la description vraisemblable. Utilisation de modalisateurs. Effet de dramatisation. Les choses sont perçues par un personnage engagé dans la situation., fonction narrative, hypotaxe, hypotypose descriptive, netteté syntaxique, Pandore Personnage du curieux, du voyeur, de l'espion, du savant, du prêtre., personnage banal, psycho-récit, récit, récit circonstancié, référent, symbole 1, texture, toponyme
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