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CONVERSATION ENTRE AMIS

(A, B, C, D et E sont attablés)
1 A : Quel est le rôle des artistes dans notre société?
2 B : Ouh là...
3 A : ...
4 B : Ouh là...
5 A : C'est ça : quel est le rôle des artistes dans notre société?
6 B : J'suis sûre que t'es comme les enfants, tu poses une question alors que t'as déjà la réponse toute prête dans ta tête, alors j'vais pas m'emberlificoter dans une réponse qui tiendra pas d'bout et j'vais attendre ta réponse (rires).
7 A : Non mais les artistes, c'est rien d'autre que les bouffons de notre société.
8 B, C, D et E : ...
9 A : 'faudrait qu'j'argumente, là.
10 B : J'comprends pas c'que tu veux dire.
11 A : Non mais c'que j'veux dire, c'est qu'c'est des gens qui produisent un produit, hein, qui sont complèt'ment dans le système, qui sont nourris par le système, alors qu'ils viennent pas nous emmerder avec leurs discours progressistes.
12 B, C, D et E : ...
13 A : J'sais que je côtoie pas mal d'artistes, avec Anne, et que tous ils vivent de subventions et qu'ils font du lèche-cul à longueur d'années pour les avoir, leurs subventions.
14 C : Non mais moi j'comprends pas, de toute façon, pourquoi on critique toujours les artistes alors qu'il y a des choses bien plus graves à critiquer... Regarde, nous, par exemple, on se dit militants et en fait on est complètement d'dans, on vit là heu, on n'a aucune indépendance alors qu'on s'dit contre tout ça.
15 D : Ouais, mais moi, j'en ai marre de tous ces discours...
16 A : Quels discours?
17 B et E, en même temps : Ton discours (rires).
18 D : J'entends, moi, j'connais des gens, des artistes, enfin, j'aime pas c'mot pasqu'on sait pas trop c'que ça veut dire, j'connais des artistes qui refusent, j'entends, qui jamais se vendront...
19 A : T'en connais combien?
20 D : Ben heu, trois. Y'a ma soeur, y'a Sylvie, y'a Damien. Damien c'est un gars extraordinaire...
21 A : Ouais mais r'garde Picasso. L'aut'soir j'discutais avec un copain qui m'sortait des trucs du genre : ouais heu, Picasso, il a changé l'regard du monde heu. Mais j'en ai rien à foutre qu'il ait changé l'regard du monde, il a fait son boulot, il a été payé pour ça, alors qu'il vienne pas nous en mettre plein la vue avec ses idées progressistes, ses délires sur les couleurs...
22 D : Ah non, mais les couleurs... J'entends, Damien, c'est un gars qui a cinquante ans, qui travaille ses couleurs depuis plus de trente ans, qui peut travailler la même couleur pendant des années. Tous les artistes se foutent de sa gueule...
23 A : Mais c'est pas Picasso ton Damien!
24 B : C'est hyper bon, ce poisson...
25 E : C'est quoi, comme poisson?
26 A : Du doré.
27 D : De la sandre.
28 A : Du sandre.
29 D : Ah...
30 B (à D vexée) : Moi j'trouve très bien les gens qui corrigent. Moi, j'en fais, des fautes de français, et j'en veux beaucoup à ceux qui m'ont entendue en faire et qui m'ont pas corrigée, quand j'm'en aperçois après coup. (à A) En fait, j'crois que c'qui t'agresse, c'est qu'les artistes soient à c'point médiatisés. C'est comme les nouveaux philosophes à la Bernard-Henri Lévy, le play boy de la philosophie moderne...
31 A : Ah ouais, tiens, l'entarteur, il l'a eu deux fois, celui-là.
32 D: Ah! Noël Godin!
33 A : Ah, il s'appelle Noël Godin? Il est génial, ce mec...
34 B. C'est qui l'entarteur, de quoi vous parlez?
35 A : C'est un mec qui jette des tartes à la figure des gens, il a eu des tas de gens, comme ça [... ] Ben, c'gars-là, croyez-moi ou pas, il fait bien plus pour l'humanité que tous ces artistes à la noix, c'est bien plus important, c'qu'il fait, que s'il avait décidé de faire une immense sculpture en crème fouettée...
36 B, C, D et E : rires.

Référence.Conversation entre amis (transcrite de mémoire).

Analyse.1. Situation. Propos de table. Conversation générale qui tend à prendre la forme d'une conversation à trois. Augmentée de sous-conversations qui n'ont pas été transcrites. Bruit (cuisson, service, couverts, briquets, etc.).
2. Contact.
2.1. Fonction phatique.
Grognements d'approbation (non transcrits).
2.2. Type de contact. Conversation à tendance agonale. Confrontation.
La mise en places : d'une façon générale, A occupe la position haute de dominant dans l'interaction. Il monopolise le crachoir, il coupe la parole (en 16, 19 et 21). Les interruptions fonctionnent comme des taxèmes de position haute : elles empiètent sur le territoire discursif de l'autre, constituent donc une menace pour sa face négative, et comme il est vexant d'être interrompu, elles sont une menace pour sa face positive. Bataille pour le crachoir.
Il prend l'initiative du thème de l'échange et impose le ton de la conversation (intello plutôt que potinant ou intime). Le thème abordé a une valeur taxémique : il semble plutôt favorable à A dans la mesure où il le concerne plus, où il relève davantage de son territoire (il côtoie des artistes, il a une idée de leur rôle).
En 28, il manifeste une meilleure compétence linguistique que son interlocutrice. (Se met en position haute celui qui impose à l'autre son vocabulaire, son interprétation des mots, etc. Ex. : le «soufflage» : le fait de souffler une expression que l'on estime appropriée). En 18, D conteste l'emploi du mot «artiste» : taxème de position haute.
La confrontation. Elle peut être interprétée de manière taxémique. Les interlocuteurs mettent en doute (en 10, 14, 15 et 22) l'opinion de A. Ils ne se rallient pas d'emblée à son opinion : le ralliement est une marque de faiblesse, de versatilité, c'est un taxème de position basse. Avocats du diable. Apparence de réfutation. En énonçant 7, A restreint les possibilités de continuation de son propre discours, il s'engage dans une certaine classe de cohérence. Il doit poursuivre pour ne pas «perdre la face». En 35 : revenons à nos moutons. «Croyez-moi ou non» : il anticipe sur la réaction des interlocuteurs, s'efforce de contrôler leur interprétation. Idée : détronisation (les valeurs représentées par Picasso subissent les conséquences de l'«indignité» de ce dernier).
Les menaces pour les faces. Menaces pour la face positive : blessures narcissiques, comportements vexatoires. Ex. : critique de la problématique (en 14), attaque 1 et animosité (en 15), raillerie (en 23).
Fonctionne comme un taxème de position basse tout acte de langage qui constitue une menace pour l'une et/ou l'autre des faces du producteur de l'acte : tous les comportements auto-dégradants. Ex. : en 6 (ma réponse ne tiendra pas debout) : autocritique et dérobade.

2.3. Les procédures de désamorçage.
Plaisanterie (en 5, 17 23 et 35).
Diversion 2, changer de sujet (en 24).
Dérobade (en 6).
Communion, harmonie affective (en 30 : la première phrase équivaut à un «c'est comme moi» à fonction intégrative).
Déplacement de la question (par le biais de l'argument par amalgame) et recherche de consensus (en 30).
Idée lumineuse, réjouissance (en 36).
Confrontation aimable. La conversation mêle coopération et compétition. La fonction de la confrontation est différenciative : elle permet aux locuteurs d'affirmer leur individualité, leur originalité par rapport au groupe. Les deux tendances (irénique et agonale) sont imbriquées : recherche de consensus et marque de la différence. La confrontation rend la conversation plus intéressante.}

Ingrédients

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  <*>  à brûle-pourpoint,   <*>  accord (un --),   <*>  actant énonciatif,   <*>  acte de parole,   <*>  allegro,   <*>  allocutoire,   <*>  allusion,   <*>  apodioxis,   <*>  apophase,   <*>  apostrophe Dans la transcription de la conversation.,   <*>  attaque 1,   <*>  autocritique,   <*>  banalisation,   <*>  banalité,   <*>  boutade,   <*>  changement de vitesse,   <*>  changer de sujet,   <*>  clartés,   <*>  clouer le bec,   <*>  coloration affective,   <*>  commatisme,   <*>  commentaire 3,   <*>  communion,   <*>  connivence 2,   <*>  contexte référentiel,   <*>  conversation générale,   <*>  coq-à-l'âne,   <*>  couper la parole,   <*>  critique de la problématique,   <*>  dérision,   <*>  dérobade,   <*>  dialogue,   <*>  diction hésitante,   <*>  discussion,   <*>  diversion 2,   <*>  duo,   <*>  du tac au tac,   <*>  énoncé spontané,   <*>  entretien,   <*>  état de décomposition,   <*>  exclamation,   <*>  familiarité,   <*>  fonction émotive,   <*>  gros mot,   <*>  imputation,   <*>  information,   <*>  interloquer,   <*>  jugement téméraire,   <*>  laisser-aller,   <*>  langage courant,   <*>  mélodie d'humeur,   <*>  mise en évidence sonore,   <*>  monopoliser le crachoir,   <*>  mot grossier,   <*>  naturel,   <*>  objet réel visé,   <*>  phonage,   <*>  plaisanterie,   <*>  prise de position,   <*>  question,   <*>  raillerie,   <*>  réaction affective,   <*>  réjouissance,   <*>  réplique,   <*>  rétroaction,   <*>  revenons à nos moutons,   <*>  s'exprimer sans ambages,   <*>  style familier,   <*>  supériorité,   <*>  sur le tapis,   <*>  ton bas,   <*>  tournure d'esprit,   <*>  usurpation de réponse

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