--- Bon Dieu! m'écriai-je. Bernis! Camille Bernis!
Il posa un doigt sur ses lèvres.
--- Chut. Pas si fort. Camille Bernis est mort et enterré. Ne le réveillons pas. En fait, il
n'a jamais existé.
--- Vous me rendrez cinglé, grognai-je, en frappant du poing droit dans ma
paume gauche. Vous changez tous de nom comme de chemise, alors?
Il ricana: --- Oh! minute! Bernis n'a jamais été mon vrai nom. Mon vrai nom,
c'est celui que je porte actuellement... et honorablement : Charles Baurénot. Chez les
anars, où on n'est pas exagérément curieux, où, en tout cas, on ne réclame pas de pièces
justificatives, je me faisais appeler Bernis. Un peu à cause de ma famille, un peu pour autre
chose. Lorsque je me suis... rangé, je n'ai eu qu'à reprendre mon véritable nom.
--- Très astucieux, opinai-je.
--- Oui...
Il soupira, alla à la fenêtre et plongea son regard dans la cour. Ses ouvriers, en bas,
tenaient un vague meeting.
--- L'astuce! poursuivit-il. Il m'en faudrait une bonne dose pour discuter
victorieusement avec ces gars-là... (Il volta et me fit face.)... Je suis devenu un
capitaliste, mon vieux. J'ai hérité de cette boîte, je l'ai développée, fait prospérer. On ne fait pas
d'omelette...
--- Sans casser d'oeufs, je sais.
Il serra les mâchoires. Son menton pointa, agressivement :
--- Et l'optique se modifie. Ca ne te plaît peut-être pas, ce que je te dis là,
hein?
---Oh! moi, tu sais...
D'un geste désinvolte de la main par-dessus l'épaule, j'envoyai à la gare un
appréciable nombre de contingences.
[... ]
Nous restâmes un instant silencieux. Barénot réfléchissait. Il passait dans ses yeux des
lueurs sombres me rappelant celles que je leur avais connues, à l'époque du Club des Insurgés
et des discussions nocturnes au dortoir du Foyer végétalien. De la cour, montait une rumeur
de réunion politique publique. On était en pleine sociale.
--- Résumons, fit-il, adoptant le ton du chef d'entreprise, recevant une délégation du
Comité de Grève. (Une corvée de ce genre lui pendait au nez, sous peu, et il procédait à une
espèce de répétition.) Un salopard quelconque assassine Lenantais.
Ce salopard mijote du louche contre des copains auxquels Lenantais te demande de
sauver la mise. C'est bien ça, hein? Bon. Et tu as tout de suite pensé qu'il
s'agissait de moi, que celui qui avait poignardé Lenantais me menaçait?
Référence. Léo Malet, Brouillard au pont de Tolbiac, chapitre X, «les Copains».
Explication. Roman noir. Ingrédients classiques du roman hard-boiled américain. Le détective réagit à la corruption par une attitude désinvolte. Baurénot est le criminel (vilain). Effet de surprise : celui qu'on croyait la victime éventuelle est le meurtrier. Méprise. Imposture. Éthopée en actes du personnage. Littérature engagée. Gauchisme.
Cliquez sur la main devant le procédé pour le voir ci-dessus. Si vous cliquez sur le nom du procédé, vous retournez à sa définition.
affectation Dans le roman noir., analepse Dans le roman noir., attitude typique Dans le roman noir, le néo-polar., aveu Dans le roman noir., clair-obscur 2 (du ---) Dans le roman-problème., clin d'oeil 2 Dans le roman-problème., contestation Dans le roman-problème., désintrication Dans le roman-problème., dialogue Dans le roman noir, le néo-polar., effronterie Dans le roman noir, le néo-polar., erreur sur la personne, esprit caustique Dans le roman noir., étonnement Dans le roman noir., expression corporelle Dans le roman noir., expression faciale Dans le roman noir., faux nom, idiosyncrasie Dans le roman noir, le néo-polar., impassibilité Dans le roman noir, le néo-polar., ironie moqueuse Dans le roman noir., langage populaire Dans le roman noir., locution idiomatique Dans le roman noir., mot plat Dans le roman noir., mystère 2, personnage-narrateur Dans le roman noir, le néo-polar., révélation Dans le roman noir., sociolecte Dans le roman noir, le néo-polar., style familier Dans le roman noir., symptôme Dans le roman noir., victime Dans le roman noir, le néo-polar., vulgarité Dans le roman noir.
Notice sur Polar et liste de ses ingrédients (procédés favoris).
Aide pour les pages des genres littéraires.
Copyright © 1998 C.A.F.É.